vendredi 5 octobre 2007

Patience d'enfant.


Patience d’enfant.

Dehors, il pleut. Sans que le ciel soit gris, les gouttelettes traversent les rayons de soleil de cette froide journée d’automne. Elles parcourent leur chemin depuis le ciel avant d’imploser sur les trottoirs et les carreaux des fenêtres.
Cerise observe justement l’extérieur de la salle de classe où l’heure d’étude suivant les horaires habituels de cours vient de s’achever dans le brouhaha. Les cris de ses camarades, heureux de reconquérir leurs parents, un père, une mère, venus retrouver l’homogène mélange de leur sang et de leur amour.
La petite voit la salle se vider bien vite. Deux ou trois demeurent, comme elle, assis, occupés à jouer, à lire, à papoter, mais à peine le temps que commence sa longue attente. A dix ans, elle est habituée, s’accommode, aux retards de sa mère, prise par son travail, pour qui l’on pourrait croire que la ponctualité est relative par intervalle d’une heure.
Elle se pose toujours dans le même coin de la salle, pas trop éloignée de son minuscule bureau d’élève, pouvant à sa guise s’emparer d’un crayon, d’une gomme. Ainsi, lorsque l’attente se prolonge, elle finit par totalement s’installer sur le large rebord de la fenêtre. Passée l’heure d’étude, c’est comme si elle se levait brusquement de sa chaise pour l’en repousser, n’y apposant plus jamais son regard jusqu’au lendemain.

Installée sur son perchoir, elle évoque la domination de son attente, silencieuse et imposante comme une statue. Mais en totale opposition à ces effigies vulgaires, vaguement féminines de part leur nudité, sans âmes, sans expressions assimilables sur l’instant. La concentration est obsolète, nulle besoin de capacités d’analyses pour saisir l’émotion de ses lèvres soudées ; dessinant souvent jusqu’à l’arrivée de sa mère, qui aura couru tout le long du chemin.

Plus d’une fois les enseignants de Cerise s’étaient inquiétés, et il fallut que sa maman convainc la directrice, lors d’un long entretien, de la précarité de la situation ; ne lui permettant pas de s’offrir les services d’une nourrice, ni de se libérer plus tôt. En résumé, elle n’était pas une mauvaise mère, mais se trouvait coincer dans le cercle vicieux du travail/divorce/vie de famille.

La gamine ne montrait jamais de mécontentements à voir sa maman débouler. Il lui arrivait de la rejoindre calmement à la sortie de la salle, quand elle la voyait arriver depuis son poste d’observation. Malgré tout, elle ne refusait jamais la compagnie de sa mère, ni de lui tenir la main. Elle ne boudait pas.

Sa maitresse de l’année en cours, se consolait du chagrin de la petite en les regardant repartir chaque soir de la semaine, main dans la main, l’une semblant soutenir l’autre.
Accoutumée à rester longuement après le départ des enfants, afin de corriger des copies, ranger la salle, l’institutrice et la mère de Cerise avaient trouvé une sorte d’arrangement, n’incommodant nullement celle-ci, prise entre la concentration nécessaire à son travail et la confiance qu’elle accorda rapidement à la petite, enfant calme et consciencieuse.

Quelques fois, marquant une pause dans ses corrections, elle relevait la tête et la regardait, immergée dans son attente.
Quand elle ne dessinait pas, elle relisait ses leçons, ou fermait ses livres et cahiers pour ne rien faire de plus que de figer ses yeux vers l’extérieur. C’est là que l’institutrice se trouvait la plus inquiète, comme si l’inactivité de Cerise exprimait un manque qu’elle ne saurait justifier. Incapable d’accabler une mère aimante devant une certaine fatalité contemporaine, elle se replongeait soit dans son travail, soit dans l’observation de l’enfant, dont l’attention se détournait rarement des évènements du plein air.

Attendre sans attendre, voilà ce qu’elle tentait d’appliquer. Si jeune fut-elle, elle apprit qu’attendre en ne pensant qu’au sujet de son attente ne faisait qu’en allonger le délai. Elle s’engouffrait dans la contemplation de ce qui pouvait se passer au dehors, qui retiendrait ses pensées assez longtemps pour délaisser les minutes qu’il lui faudrait encore affronter.

Il y eut bien quelques camarades lui faisant des signes d’au-revoir, auxquels elle répondit chaque fois. Les voyant évacués les lieux par l’allée tant empruntée, matin et soir, elle reconnaissait facilement dans la foule le papa de l’un, aux côtés de celui d’un autre.

Puis, le silence et le vide de présence revenu, elle vit des chats nomades s’approcher à pas délicats, rôder dans les parages de l’école. Elle aimait leur apparition, élégants survivants de la rue, elle leur comparait Charly, le vieux chat qui l’attendait à la maison chaque soir. Il n’avait rien du fauve, mais s’apparentait plutôt à la peluche, pataud, mué d’une perpétuelle fatigue, allongé la plupart du temps au fond de l’un des canapés.
Ceux-là étaient farouches, possédés par la quête de leur survie. Alors que l’heure avançait, elle espérait leur venue. Tantôt pouvait apparaître un grisâtre ou un roux, un boiteux ou un furieux.

Ce soir, la nuit se coucha bordée du drap d’une fine pluie persistante. Le soleil disparut sans qu’elle ne le vit s’éclipser. La toile des parapluies remplaça les visages, les passants se trouvèrent pressés et de moins en moins nombreux. Il n’y eut pas d’au-revoir d’amis. Non, tous avaient fuis.

Il lui fut d’abord difficile de discerner les ombres à quatre pattes qui longèrent le mur, mais se concentrant, elle aperçut deux sombres silhouettes s’arrêter près d’un sac de détritus, abandonné contre un réverbère. Allumé, celui-ci l’aida à observer la paire de petits félins furetant autour de ce qu’elle s’imagina être une proie.
L’un des deux était plus petit que l’autre et le plus gros éventra le sac en quelques coups de griffes. L’autre s’approcha et ils commencèrent à fouiner, le museau entrant et sortant du sac par intermittence.

L’institutrice, alertée par l’attitude intéressée de Cerise ; s’étant mise sur ses genoux, les mains sur les carreaux ; se tint debout et tenta de suivre son regard. Elle dénicha rapidement la seule chose à voir et s’intéressa elle aussi aux bêtes intrépides. Cerise sourit. Alors elle se leva et s’approcha pour lui murmurer :

« Vois-tu, ce doit-être la mère et son chaton. Un peu comme toi et ta maman, ils avancent comme ils le peuvent, et même si c’est difficile pour l’un et l’autre, comme pour vous deux, ils restent unis. »

Ni Cerise, ni sa maitresse ne virent un parapluie bordeaux pénétré en hâte dans l’obscurité de la court.

La maman se tint sur le pas de la porte de la salle de classe. Quand elle frappa pour s’annoncer, Cerise se retourna en un élan, souriante, s’emparant de ses affaires avant de sauter au cou de sa mère.
Les deux femmes échangèrent un regard d’estime et de compassion. Puis mère et fille quittèrent l’enceinte de l’école, couvertes de l’apaisante présence d’une alliée dans leur apparente vie de chats errants.


JUmo. 2007


( Image d'Alice Thompson www.alicethomson.co.uk/figures.html. )



Lucie.


Lucie.


Imaginez un des plus grands centre économique européen où l’affluence d’employés en tout genre s’y dénombre par milliers. Des franciliens pour la plupart, travaillant dur, accablés du stress omniprésent de leur vie salariale.
Usant des transports en commun, ou par l’utilisation d’un véhicule personnel, qu’importe, les gens y parviennent ; comme s’il fut agi d’un rendez-vous religieux ponctuel, quotidien.

Les autobus se débarrassent de leurs passagers, les escaliers mécaniques en imitent la marche. Tous se précipitent en direction de divers bâtiments, aguerris à la seconde prêt du chemin restant à parcourir. Certains luttent contre le temps, se précipitant inutilement.

Lucie se presse depuis qu’elle est sortie de la rame de métro. Dans les couloirs, à plusieurs reprises déjà, elle faillit chuter, les talons de ses chaussures se dérobant sous son pas. Vêtue d’une veste assortie à sa jupe, coupée aux genoux, elle sait ne pas avoir la tenue adéquate, et à même conscience que cette course lui permettra, au mieux, de limiter son retard ; quand à lui inévitable.

Elle se précipite chaque jour, depuis cette année 1999 où, avec son mari, ils décidèrent d’abandonner la capitale pour s’installer dans une petite ville située à une cinquantaine de kilomètres de Paris.
Leur enfant fut d’ailleurs l’instigateur du projet et c’est avec l’ambition de développer son cadre de vie qu’ils prirent cette décision.
Les proches écoles, la campagne se dessinant alentours, le repos, ainsi que l’investissement dans une maison dont les pierres recelaient l’histoire inconnue de leurs vieux jours, tout cela valait les efforts d’un réveil matinal et de nombreuses heures de trajets quotidiens.

Lucie, à l’instar de son époux, travaille donc dans la capitale et l’un comme l’autre n’ont pas jugé utile, ou ne serait-ce qu’envisageable de changer de travail ; sacrifier les années d’ancienneté, de labeur, dans un monde ouvrier où les quinquagénaires n’ont semble-t-il plus leur place.

Secrétaire depuis plus de vingt ans pour une société affiliée à un grand groupe industriel, elle apprit avec le temps à sacrifier ses envies, ses rêves d’enfant, d’adolescente, de femme.
En ceci, elle regagne un peu de cette liberté, quand, elle retrouve ce qui, au bout de paiement des échéances, deviendra son « chez-elle ». Elle jardine, fait la cuisine pour sa famille, son fils et ses amis devenus grands et s’autorise quelques loisirs. Avec une préférence immodérée pour la décoration ; bricolant toutes sortes d’objets, de vieux meubles en majorité, peignant, sciant, cousant, accommodant chaque face, chaque angle et détail comme elle le désire.

Toute jeune, elle s’adonnait déjà à cet amour des belles choses, sans réelle valeur pécuniaire, simplement belles. La passion de la vaisselle y prit une place prépondérante. A maintes occasions ne s’est-elle pas émerveillée de formes, de couleurs, diversement associées, lui procurant cette joie d’y voir plus qu’une vieille écuelle, où deux couverts s’y trouvaient joints.

La céramique, la porcelaine, toutes ces fragilités exercèrent un attrait sur elle. Comme autant de savoir-faire nécessaires, elle s’intéressa aux métiers s’en approchant. La confection de poteries, des vases aux terrines de terres cuites, de meubles, et plus encore la minutie des fines ornementations de services de tables entiers, l’intérêt se décupla hors des limites que l’on qualifie de raisonnables.

Elle se refusa très tôt, et encore aujourd’hui, le loisir de se promener au gré des rues, déambuler d’atelier en atelier, assouvir une soif de connaissance paradoxalement insatiable.

Résignée, mais sans en repousser l’influence, elle apprécia ces petites babioles qu’elle su marquées de ses pinceaux et vernis. Les seuls rêves de cette passion auxquels elle consentit furent alliés aux minutes, où demeurant immobile, elle avala les images de ces orfèvres travaillant le dos courbé sur de minuscules pièces.
Devant cet unique atelier de confection devenu vitrine, où elle se permit de courts mais réguliers arrêts, elle sembla retrouver la jeunesse de ses idéaux, avant de rentrer chez-elle où la réalité ne s’alliait pas obligatoirement aux regrets passés.


JUmo. 2007