samedi 11 août 2007

Curiosité, vilain défaut ?


La distinction des saisons, marquée par les températures, l’ensoleillement, la pluie, devient de plus en plus ardue. L’hiver est devenu doux, si doux que les arbres refleurissent avant l’arrivée du printemps. Les gelées sont tardives et brusques, frappant parfois à la fin Mars, voire début Avril, à l’époque où les giboulées abondaient.

La canicule a marqué les esprits avec un nombre de morts élevé ainsi que toutes les hospitalisations qui l’avaient accompagnée, sans parler des incendies et autres catastrophes. Des plans sécuritaires ont été mis en place par l’état pour que la population ne puisse plus se retrouver sans moyens de défense, face à une vague de chaleur telle que celle que nous avions subit.

Depuis, les étés ne se sont pas succédés sur le même modèle, calmes. Certains chauds, d’autres moins, offrant la plupart du temps une douce arrière saison.

Dans les grandes agglomérations, les gens ne semblent pas marqués par la hausse des températures. Rien n’y fait, la pluie, le vent, un soleil de plomb, rien n’arrête l’activité d’une ville. Les gens se dénudent quelque peu, mais continuent de marcher, droit vers un objectif qui échappe à la vue de tout les autres.

Le mois de Juillet de cette année 2007 commença sur une note relativement exécrable. Les températures nauséeuses, allant d’un extrême à l’autre du jour au lendemain offraient seulement la possibilité, soit de tomber malade, soit de prévoir au jour le jour une série d’activités. Une dizaine de minutes suffisaient à ce qu’un orage intègre une belle après-midi, frappant par alternance tout un monde, agité par le soudain déluge.

Une femme, assise sur un banc public, surveille son enfant tout en observant la foule, l’œil attiré par des attitudes, des cris, des démarches, des discours et certains silences. L’enfant, encore tout jeune, joue autour d’une fontaine inanimée, inanimée de ce qui fait le charme de l’édifice, l’eau.
Rassurée, le petit s’évertue à ranger quelques jouets dans son sac à dos, à en sortir de nouveaux et ainsi se remettre à la lourde activité qu’est le jeu.

Déjà deux fois ils sont allés s’abriter dans un café tout proche, le petit ayant prit à chaque occasion un chocolat chaud ; même par ce temps, il ne prendrait une autre boisson pour rien au monde. Les nuages se rapprochent de nouveau, et elle l’appelle en insistant pour qu’il range son attirail et se prépare à rentrer. Comme tout bambin qui se respecte, les premières réclamations et demandes traversèrent son esprit tel le bref trajet d’une goutte d’eau filant au contact du sol.

Fausse alerte, la menace de l’averse semble passée au-dessus de leur tête, elle insiste une dernière fois en lui rappelant qu’il a déjà gagné dix minutes et pas une de plus. Il acquiesce et continue de jouer. Elle s'adoucit et se relance à scruter les Hommes qui l’entourent.

Comme la plupart des gens le font sans vouloir en donner l’impression, elle tente de se satisfaire du temps qui passe, en analysant les parages, en riant ou en méprisant, en essayant de comprendre quelques situations dont le sens lui a échappé au premier regard.

Au détour d’une rue, elle surprit un homme vêtu d’une cotte de travail. Il marchait à vive allure et ne souriait pas. Jusque là, hormis sa tenue, rien ne le distinguait des autres. Pas très grand, un large front, le sommet du crâne dégarni, il semblait âgé d’une quarantaine d’années.
Elle allait en détourner son attention quand il prit le chemin de sa position. Intriguée elle continua de fixer son corps en mouvement. Il passa devant elle, ils échangèrent un bref regard. Il traversa de nouveau la rue, bifurqua juste derrière un enfant tenant sa mère par la main et sembla les suivre.

Tout arriva rapidement, l’homme étala un grand sourire, révélant des traits enjôlés. Il attrapa l’enfant par le dessous des bras et le souleva de terre en le retournant pour que leurs deux visages se confrontent. Le petit bout de chou, d’un premier élan déconcerté et paniqué, se rassura et embrassa l’homme d’un long baiser sur la joue, enserrant son cou de ses bras. La mère avait de suite reconnu le père de son enfant et avait laissé la surprise s’emparé de lui.

Elle détourna son regard de la scène pour observer son propre enfant, qui s’amusait seul au bord d’un bassin vide. L’afflux d’amour s’empara de son cœur et elle appela son petit Léo, qui se retourna au troisième écho de son prénom, pour se diriger vers les bras grands ouverts de sa mère.

Elle desserra son étreinte et décolla son fils de sa poitrine pour l’examiner de ses yeux de mère ; une goutte d’eau tomba sur le sommet de son front.


JUmo. 2007

vendredi 3 août 2007

L'oeil ouvert.


L’œil ouvert.


Les cheminots sont de ces hommes que les autres jugent feignants par jalousie de ne pas être à leur place ou par simple plaisir, comme une habitude bien ancrée, sorte de mécanisme coutumier. Bien sûr, ils sont dans cette bulle qui tend à prendre soin de son ouvrier, englobant de nombreux avantages, penchants en majorité du côté social de la balance, plutôt que financier. Les retraites, les frais médicaux, les conditions de travail , etc. Un tout qui génère cette facilité qu’on les gens de « l’extérieur » à les accabler d’être dénués de volonté, sujets à la flemmardise, voire inaptes au travail.

Il y en a de ceux là, c’est indéniable, mais pas plus que dans n’importe quelle autre entreprise. Dans notre société, il y a toujours eu de ces gens que la masse traîne derrière elle dans l’élan des tâches à accomplir, tel un boulet. Le cheminot s’insère donc dans son milieu professionnel comme n’importe quel individu, avec sa volonté propre, ses instants de relâchement, ses désirs, ses problèmes.
L’élément posant le soucis le plus dérangeant aux yeux des citoyens est celui de l’âge de départ en retraite. Il ne faut pas oublier que le cheminot finance en grande partie ce régime « spécifique ». Pour la plupart, suivant leur poste, ils se contentent d’un salaire très peu élevé et cotisent très largement dans l’optique de cet « avantage ».
Mais qu’importe tout cela, le cheminot restera, sans émettre de fatalité, dans cette fraction de « mal-aimés », de « détestés » comme une fenêtre sur laquelle entrevoir les raisons du mal-être professionnel, une solution à nos propres soucis au travail. Quantité de gens se persuadent qu’une fois la société exemptée de tout ces « cas particuliers », elle ne pourrait que mieux s’en porter. A bien y réfléchir, cela ne changera rien à notre vie, ces travailleurs perdront de bonnes conditions, leurs avantages, et nous n’y verrons rien. La nouvelle fera la une des quotidiens, tout le monde se réjouira de se retrouver sur un pseudo pied d’égalité et finalement nous retournerons tous à nos occupations par le même train du matin, la même route, rien n’aura changer pour « les autres ».

Dans cette énorme entreprise qu’est la S.N.C.F., tout les corps de métier semblent cohabiter. Le chemin de fer français, ce n’est pas seulement un train conduit par un homme, mais des centaines d’autres qui gravitent autour de cet objectif, dans ce que l’on nomme « la maintenance ». Cette corporation n’y échappe pas, elle intègre des paresseux, joyeux ou malheureux, des courageux ; convaincus et parfois soutenus. Entre ces deux extrêmes, les agents s’affranchissant de leurs tâches avec sérieux, mais sans excès, de zèle ou d’autre nature.
Parmi, Nicolas, vingt-deux ans, physiquement conforme à la moyenne des hommes français, plutôt grand, un léger surpoids, mais rien d’inquiétant. Confiant, il a les respect de ses supérieurs, car c’est un milieu très hiérarchisé que la S.N.C.F., ainsi que celui réciproquement partagé de ces collègues. Il tente d’avancer dans sa vie à hauteur des moyens dont il dispose, se complaisant de plaisirs à portée de ses revenus.

La plupart du temps plein d’entrain, maquillé d’un humour proche de l’autodérision, il goutte à ces jours où la santé et la bonne humeur ne sont pas au rendez-vous. Face à ces conditions, il dépasse ce passage à vide en restant fidèle à l’image qu’il donne de lui, quoiqu’il advienne. Une baisse de volonté est néanmoins présente, les interventions deviennent ardues, les reproches plus pesant.

Et un jour alors qu’il était depuis peu intégré à l’équipe, dont il fait partie depuis huit années maintenant, il se trouva surpris, immensément désolé et tellement idiot.
Accablé par une migraine récurrente, il sortait des fosses de travail*, et remontant une des rampes d’accès en tirant sa charrette d’outillage, ses yeux tombèrent sur le petit Yannick.

Majeur depuis peu, le sourire aux lèvres, maigre et à l’apparence fragile, il s’agitait en tout sens. Attrapant outils, fouillant à la recherche de vis, d’écrous, déboulant et à l’affût de la moindre nécessité de l’intervention qu’accaparait toute son attention.

Nicolas regarda, l’observa, fou de s’attarder sur son propre sort, alors que d’autres affrontent inlassablement les petites comme les grandes difficultés.

Jusque là, rien de surprenant à la comparaison, l’impact de la parallèle pouvait ne pas marquer, ne pas s’immiscer à une place de souvenir impérissable, mais Yannick n’était pas de ces jeunes hommes emplis d’énergie, survoltés par simple réaction à la vivacité qui les possède. Un détail de poids créait ce qu’il portait comme un nom, un étiquette, un trait de sa personnalité ; il boitait. Il se déhanchait de droite et de gauche, d’un pas lourd, beaucoup trop ample pour n’être que le résultat d’un incident passager. Une jambe se courbait, dessinant un arc vers l’extérieur à chaque pas. Il était manifeste qu’il titubait d’un handicap. Et malgré l’importance que Nicolas lui portait, Yannick ne semblait pas en être affecter, il vivait avec comme lui avait dix doigts et deux mains, cela faisait partie intégrante de sa vie. Il avait choisit d’avancer plutôt que de reculer, d’être là, à vivre contre la différence et l’indifférence.

Il est de ces rencontres, de ces situations intenses qui marquent les esprits, rendant nos soucis incroyablement plus légers. De quoi se complaire, si dangereuse soit l’excessive complaisance, elle en demeure nécessaire à l’affrontement d’instants difficiles… Encore faut-il posséder de quoi l’apprivoiser.

*Tranchées ouvragées pour faciliter l’accès sous les rames.


JUmo. 2007