lundi 7 mai 2007

Plaisir de l'inattendu.

Plaisir de l’inattendu.


Le soleil commence à décliner sur cette journée de mercredi d’un mois de Mai, s’ouvrant à la chaleur d’un été qui se rapproche. Un homme sort de la Gare de Lyon, en empruntant les galeries donnant sur la Place H.Fernay. Francis Florin s’arrête immobile au milieu de l’endroit, cette place qui, pour lui, n’en est pas vraiment une, puisque demi-circulaire. Il laisse les rayons inondés son visage ainsi que son corps, quelques secondes avant de reprendre son chemin.

Comme à son habitude, il avance dans la direction de l’avenue Daumesnil, de tout son long bordée par les Arcades ; magnifiques ouvrages abritant luthiers, ateliers de confections et galeries en tout genre. Il gravit les quelques marches qui accèdent à la Coulée Verte, sur les « toits » des fameuses Arcades. Ce sentier boisé s’étend de la Bastille jusque par-delà la pelouse et le tunnel de Reuilly, envahi de verdure, de fleurs, aux allures de véritable parc, magnifiquement entretenu. Les arbustes taillés, les rosiers bourgeonnant ou éclos, de rares coquelicots et une ambiance sereine entraîne Francis le long de cette voie, aux aspects d’escale apaisante, rappelée à son existence parisienne par le seul écho des automobiles et de leur klaxon.

Il redescend de ce petit nuage par un des nombreux accès éparpillés, judicieusement dissimulés derrière un bosquet, dans un recoin, où seul un petit panneau vous indique que vous pouvez sortir de vos rêveries par-ici ou par-là. Rejoignant la place du Colonel Bourgoin, qui arbore en son centre une fontaine aux aspects centenaire, il traverse deux passages piétons pour entrer dans une brasserie, « La Fontaine ». Le lieu rappelle celui de sa naissance, où il occupe l’angle de la rue Erard et de la rue de Charenton, exposé à la vue, aussi discrètement qu’agréablement intégré au paysage.

Une fois à l’intérieur, il cherche toujours une table tranquille, à l’écart des clients attirés par la lumière bienfaisante de l’astre qui recouvrent les sièges étalés sur le trottoir. Assit sur une banquette, il ouvre les pages d’un livre en cours de lecture, et plonge dans la mer de mots qu’il boit, accompagné de la saveur d’un café, ni trop chaud, ni trop frais.

Il reste concentré plusieurs chapitres, et parfois, quelques pages seulement, dégrafé des lettres par un son, une image, il relève la tête pour en saisir l’origine. Là, c’est une petite fille qui joue entre les bancs de la salle toute proche de la cuisine, remuant un cerceau jaune et noir dont le diamètre la dépasse légèrement. Une autre enfant s’amuse avec elle, toutes deux de jolies petites têtes blondes aux sourires enjôleurs, qui pousse le sien à apparaître. Turbulentes et malines, elles contournent les avis et restrictions habilement distribués par la serveuse, sous ce ton calme et aimant, aussi tendre que le sourire de Francis.

Une accalmie lui permit de se replonger durant quelques lignes dans son livre. Une seule des deux petites filles revint, et curieusement se mit à le dévisager, les yeux grands ouvert, le visage sans expressions, presque impressionnée, pourtant, lui affichait son plus bel air d’homme attendri ; auquel elle ne répondit qu’en s’éloignant vers le comptoir. La timidité des enfants à ce don de l’émouvoir au point d’en oublier leurs mauvaises manières. Cette fois, il est complètement en dehors des péripéties théâtrales de l’auteur, tombé du fil de l’histoire qu’il tentait de continuer. Il attend le retour de la gamine, qui reparût en quelques instants, pour disparaître dans la cuisine d’où la grosse voix du chef résonnait de temps à autres, aussi paisible que chaleureuse. Elle en revint avec une assiette que ses deux petits bras, terminés par de toutes aussi petites mains, avaient du mal à soutenir. Elle s'installa quelques tables plus loin que Francis, posant délicatement son repas, par de petits gestes mal assurés, volant un nouveau sourire du discret lecteur interrompu.

Accoudé à sa table, il regardait l’enfant déguster ses haricots verts, ainsi qu’une tranche de pain toastée, à l’apparence juste ce qu’il fallait pour qu’elle s’en régale sans rechigner. En silence, elle mangeait, le cerceau pendait au dossier de sa chaise, patiemment en attente de retrouver son rôle de jouet d’un soir. De cette même quiétude, Francis observait la petite, qui lui rappelait l’innocence d’une enfance pas si lointaine, où il traînait ses baskets sur ce même trottoir qu’il apercevait à travers la baie vitrée. Il n’était pas seul à la contempler, puisque la serveuse affichait aussi ce magnifique sourire chaud, affecté, presque ému, qu’elle conservait tout le long de son service, mais qui prenait là une autre dimension. Il croisa son regard l’espace d’une dizaine de secondes, et leurs pensées s’entrelacèrent autour de ce spectacle sans autres équivalents que les souvenirs qui devaient les envahir tout deux.

La petite finit par se lever en débarrassant ses couverts, son assiette, et lui, reprit quelques temps sa lecture, mais sans pouvoir réellement réintégrer le pouvoir des mots. Il se leva, reprit un café en se dirigeant vers le comptoir, le soir était tombé. Après quelques bavardages avec le patron, il quitta les lieux sur un ultime regard pour la mignonne petite Julie et sur un « au-revoir » aux consonances d’un « à demain ».


A Pascal et toute l’équipe, mille merci pour un si bon accueil quotidien.

JUmo. 2007