Et si la Lune avait des yeux.
Une jeune femme avance pas à pas dans le sol poussiéreux d’une rue de Rome, elle marche doucement. Elle tient à la main un bâton, long et bien élagué, une branche de noisetier, souple et pourtant solide à la fois. Tout autour les gens produisent ce bourdonnement lourd d’une foule qui renaît chaque matin. Elle titube sur un caillou, que ses yeux ne peuvent voir, et que sa longue canne n’a pas rencontré. Elle s’arrête un instant et écoute. Dans un arbre, pas si lointain, un oiseau chante, si faiblement qu’il lui faut se concentrer pour décrypter sa mélodie. Un rouge-gorge lui semble-t-il.
La voilà repartie, de nouveau immergée dans le bruit alentour, concentrée sur la destination de ses pas, s’appliquant à produire de sa main des demi-cercles quasi parfaits, assurance éphémère de sa sécurité. Elle n’est pas loin d’arriver à destination, les échos ont changé et la ville se mue en différentes manières, les sons prennent en force selon si l’on se trouve en bordure du Colisée ou du marché, et se minimisent à l’approche d’un chemin longeant le Tibre.
Sa canne heurte une marche de grès, qu’elle enjambe délicatement, se retrouvant sur le parvis de l’entrée d’un édifice, que sa main reconnaît en caressant la porte de bois. Le lourd anneau d’acier résonne derrière le seuil, et quelqu’un vient lui ouvrir. Trois mots échangés et elle continue de traverser les couloirs, comme les rues de la ville, aider de sa baguette, mais à l’abris du capharnaüm externe. A l’intérieur, tout les sons ont une espèce de jumeau, qui se répète quelques fois avant de s’étouffer définitivement contre les murs épais de l’édifice.
Une autre porte s’ouvre devant elle, elle entre cette fois-ci dans une salle qui lui est toute réservée depuis bientôt cinq années. Un jeune homme l’y attendait, une plume à la main, affalé sur la table. Devant lui, un encrier de plomb et du papier. Il l’accueille d’un sourire qu’elle devine plus qu’elle ne le voit, et s’asseyant à ses côtés, ils parlent ensemble de la journée qu’ils se doivent de remplir.
Il est pour elle ses yeux et ses mains, habiles à écrire rapidement les pensées qui viennent à cette femme de dix-neuf printemps, chanteuse, poète, actrice au théâtre de Marcellus, compositrice de petit talent mais de grand cœur, comme disent certains spectateurs de la haute société. Tout ces métiers de la scène qui lui ont plu depuis le premier soir où elle s’était aventurée, par le plus grand des hasard, contre un mur du théâtre, juste sous une fenêtre qui laissait s’échapper un air délicat, émanant de la voix d’une femme.
Elle est pour lui, bien plus qu’un débit majestueux d’idées ou de paroles, elle est comme un soleil qui se lève inexorablement, comme un coq qui chante, ou comme la fleur qui renaît. Elle est la plus belle des femmes, non par sa beauté naturelle, ni par ses excès effrénés de gentillesse, mais simplement parce qu’elle combat nuit et jour la vie contre ce qui lui a été enlevé dès sa naissance, la vue. Il lui donnerait ses yeux, sa plume, sa vie.
Il lui raconta un jour ce dont peu de personnes parlent, les étoiles, la Lune, les comètes, le ciel de la nuit, aussi magnifique que la lumière de midi. Elle devint amoureuse de cette idée que la Lune est une surface ou ses pensées peuvent se regrouper, et d’où personne ne peut les décrocher. L’illustration parfaite d’un monde à sa portée. Et il n’est pas rare, qu’au soir venu, il se mettent tout deux à parler de la nuit. Parfois, il se lève, et ouvre alors la fenêtre, sans le lui dire, car elle le devine, par le courant d’air frais qui s’est immiscé le long de son cou. Elle lui demande de décrire, inlassablement ce qu’il voit, et lui, répète toujours les même mots : « Je vois les étoiles, un ciel sans nuages, une Lune qui brille, et je te vois, au travers de tout cela, t’élevée bien plus haut qu’elle ne le pourra jamais. »
Elle écoute ses mots et les boit, en conservant cet aspect stoïque, comme intouchable, sans y être indifférente. Il a apprit à être patient. Et c’est ainsi qu’ils retournent tout deux, à leurs écrits et leurs songes, dans le silence qui pèse pour lui, autant que sa cécité.
Certains êtres, les yeux ouverts, voient autant que l’aveugle qui se bouche les oreilles.
JUmo.2007
Une jeune femme avance pas à pas dans le sol poussiéreux d’une rue de Rome, elle marche doucement. Elle tient à la main un bâton, long et bien élagué, une branche de noisetier, souple et pourtant solide à la fois. Tout autour les gens produisent ce bourdonnement lourd d’une foule qui renaît chaque matin. Elle titube sur un caillou, que ses yeux ne peuvent voir, et que sa longue canne n’a pas rencontré. Elle s’arrête un instant et écoute. Dans un arbre, pas si lointain, un oiseau chante, si faiblement qu’il lui faut se concentrer pour décrypter sa mélodie. Un rouge-gorge lui semble-t-il.
La voilà repartie, de nouveau immergée dans le bruit alentour, concentrée sur la destination de ses pas, s’appliquant à produire de sa main des demi-cercles quasi parfaits, assurance éphémère de sa sécurité. Elle n’est pas loin d’arriver à destination, les échos ont changé et la ville se mue en différentes manières, les sons prennent en force selon si l’on se trouve en bordure du Colisée ou du marché, et se minimisent à l’approche d’un chemin longeant le Tibre.
Sa canne heurte une marche de grès, qu’elle enjambe délicatement, se retrouvant sur le parvis de l’entrée d’un édifice, que sa main reconnaît en caressant la porte de bois. Le lourd anneau d’acier résonne derrière le seuil, et quelqu’un vient lui ouvrir. Trois mots échangés et elle continue de traverser les couloirs, comme les rues de la ville, aider de sa baguette, mais à l’abris du capharnaüm externe. A l’intérieur, tout les sons ont une espèce de jumeau, qui se répète quelques fois avant de s’étouffer définitivement contre les murs épais de l’édifice.
Une autre porte s’ouvre devant elle, elle entre cette fois-ci dans une salle qui lui est toute réservée depuis bientôt cinq années. Un jeune homme l’y attendait, une plume à la main, affalé sur la table. Devant lui, un encrier de plomb et du papier. Il l’accueille d’un sourire qu’elle devine plus qu’elle ne le voit, et s’asseyant à ses côtés, ils parlent ensemble de la journée qu’ils se doivent de remplir.
Il est pour elle ses yeux et ses mains, habiles à écrire rapidement les pensées qui viennent à cette femme de dix-neuf printemps, chanteuse, poète, actrice au théâtre de Marcellus, compositrice de petit talent mais de grand cœur, comme disent certains spectateurs de la haute société. Tout ces métiers de la scène qui lui ont plu depuis le premier soir où elle s’était aventurée, par le plus grand des hasard, contre un mur du théâtre, juste sous une fenêtre qui laissait s’échapper un air délicat, émanant de la voix d’une femme.
Elle est pour lui, bien plus qu’un débit majestueux d’idées ou de paroles, elle est comme un soleil qui se lève inexorablement, comme un coq qui chante, ou comme la fleur qui renaît. Elle est la plus belle des femmes, non par sa beauté naturelle, ni par ses excès effrénés de gentillesse, mais simplement parce qu’elle combat nuit et jour la vie contre ce qui lui a été enlevé dès sa naissance, la vue. Il lui donnerait ses yeux, sa plume, sa vie.
Il lui raconta un jour ce dont peu de personnes parlent, les étoiles, la Lune, les comètes, le ciel de la nuit, aussi magnifique que la lumière de midi. Elle devint amoureuse de cette idée que la Lune est une surface ou ses pensées peuvent se regrouper, et d’où personne ne peut les décrocher. L’illustration parfaite d’un monde à sa portée. Et il n’est pas rare, qu’au soir venu, il se mettent tout deux à parler de la nuit. Parfois, il se lève, et ouvre alors la fenêtre, sans le lui dire, car elle le devine, par le courant d’air frais qui s’est immiscé le long de son cou. Elle lui demande de décrire, inlassablement ce qu’il voit, et lui, répète toujours les même mots : « Je vois les étoiles, un ciel sans nuages, une Lune qui brille, et je te vois, au travers de tout cela, t’élevée bien plus haut qu’elle ne le pourra jamais. »
Elle écoute ses mots et les boit, en conservant cet aspect stoïque, comme intouchable, sans y être indifférente. Il a apprit à être patient. Et c’est ainsi qu’ils retournent tout deux, à leurs écrits et leurs songes, dans le silence qui pèse pour lui, autant que sa cécité.
Certains êtres, les yeux ouverts, voient autant que l’aveugle qui se bouche les oreilles.
JUmo.2007