vendredi 28 septembre 2007

L'arbre et l'Homme.


L’Arbre et l’Homme.


Gare de Lyon, monstre de gare, aux multiples services , sorties, accès et usages. On y emprunte le métro, les trains de grandes lignes, de banlieues, les bus, ou le taxi. Une véritable plaque tournante de l’Est parisien. Il y a aussi les kiosques à journaux, les agents d’accueil, une foule d’inconnus, et de jeunes gens utilisant un coin non aménagé des locaux pour travailler leurs pas de « Brake-dance », ou plus communément appelée « Hip hop ».

De multiples sorties donc. Entre toutes, celle de l’Horloge, donnant sur une ribambelle de taxis dont les chauffeurs attendent de futurs clients, celle de la rue de Bercy où les autobus s'embrassent en formant un mille pattes pouvant atteindre deux cents mètres. Et enfin, pour écourter la liste, celle de la place Henri Frenay. Là se croisent toutes sortes de gens. La plupart ne font que s’engouffrer dans la gare, mais la découpe en arc de cercle du périmètre offre un immense banc de pierre aux voyageurs attendant l’horaire de leur train, aux curieux souhaitant s’y reposer quelques minutes lors d’une belle journée ensoleillée. Malheureusement, il semble qu’il y ait aussi ceux qui y vivent.

Le soir venu, et parfois l’après-midi, se forment de curieux groupes d’hommes, qui, si l’on s’en approche assez pour pouvoir entendre leur voix, parlent une langue de l’Est européen. Ils sont là, ne font de mal à personne, à priori, sauf lorsqu’ils boivent trop paraît-il, difficile de savoir.
Peu importe. Le vieux Mamadou n’est pas loin. Il y vit lui, réellement, aux abords de la gare. Tout les jours, il vadrouille en tendant sa main, faisant la manche, se posant tantôt dans un recoin d’une allée fréquentée de nombreux passants, tantôt dans un endroit éloigné de tous, reclus dans sa misère, en compagnie d’un bouteille plastique de mauvais vin. Il peut se montrer capable de la plus grande gentillesse comme de la plus élaborée des colères, quand, par exemple, la bouteille vient à être vide. Alors, il parle du Sénégal, terre d’enfance, en criant des phrases décousues, incompréhensibles quelques fois. Il évoque les lions, les grandes bêtes sauvages, que même la savane ne domine qu’au moyen de violents incendies, lorsque « la brousse rappelle à ceux qu’elle héberge, qui vit, qui nourrit, et qui détruit ». Il dut être un grand homme, le vieux Mamadou, peut-être un professeur, là-bas, « à l’horizon qui vit naître le soleil ».
Il crie sur les hommes, des étrangers pour lui, car « qui ne salue ou n’y répond reste inconnu. Une fois le cap dépassé, il devient quelqu’un par l’intonation de sa voix, par les manières et formules usées pour s’exprimer ».

Personne n’y comprendrait rien. Comment en est-il arrivé là ? A jouer devant un public qui n’y reconnaît que l’illustration de la décadence et du résultat auquel il ne faut pas aboutir dans sa vie. Certains évitent de croiser son regard vitreux, d’autres son chemin. Quelques uns lui donnent une ou deux piécettes régulièrement, d’autres au passage, s’épargnant la peine de ranger la monnaie d’un café avalé à la hâte avant de quitter la gare, ou encore, par simple générosité.

La générosité, voici un troublant sujet de réflexion. Elle est souvent mise en cause par les médias et se retrouve donc sur les lèvres des Hommes, au croisement d’une rue, à la sortie des écoles. Le paradoxe tourne, en résumant la situation à quelques mots, autour du fait de savoir si les gens veulent encore donner ou ne peuvent plus le faire. Les réponses sont claires, les résultats sont toujours positifs, le Téléthon, grande manifestation télévisée, affiche, pour ne citer qu’elle, la barre du million d’euros, largement dépassée, chaque année. Les associations fleurissent, les démarches d’appel suivent. Le véritable problème réside, et tout le monde en convient, dans le nombre de fondations, de comités et de ligues en constante augmentation. Reflet d’une misère grandissante ? D’un abus de certains membres de la société actuelle, vivant du labeur des autres ? Différencier les méritants et nécessiteux des fainéants et usurpateurs, hypocrites, voilà où est la difficulté.
Alors chacun se trouve libre de répondre comme il juge utile aux assaillantes implorations de ses semblables. Tout le monde peut donner, partager, reste à déterminer comment, par quels moyens. Les éventualités sont multiples et propices à se montrer, en de brèves occasions, ouvert à cet entourage. Il ne faut pas tomber dans une certaine naïveté, là est le danger. Savoir donner, oui, accepter d’être dupé, non.

Pour en revenir à Mamadou, l’opportunité est toute trouvée, pourquoi ne pas lui donner une pièce comme ces passants, ces inconnus s’imaginant généreux ?

Réceptif, il en est un. Il note cette détresse hallucinante, mais ne veut pas voir sa charité couler au fond de sa gorge, et se transformer finalement en une douleur de cris. Au travers de tous ces hommes, de l’Est, de France, ou d’ailleurs, il ressent pour le vieux noir autre chose qu’une curiosité malsaine.

Tout les jours, où Mamadou traîna, visible, aux alentours de la place Frenay, il prit le temps de l’observer, de comprendre, et surtout, de l’écouter. Un soir, ils partagèrent deux sandwichs, le temps d’un court dialogue.
Depuis, lorsque le vieil homme trouve la lucidité de le reconnaître, ils échangent quelques mots. De temps à autre, il lui offre de quoi se remplir l’estomac avec autre chose que de la vinasse. Et il le voit, parfois, trop souvent, assit à même le sol, sale, puant, ou sur ses jambes, déambulant silencieusement, marmonnant seul, des phrases dites de sa langue natale. Alors il s’éloigne en le laissant, désolé, mais impuissant.

Mais encore jamais, il ne l’avait vu, comme ce fameux soir de décembre où le soleil avait disparu du ciel, parler à un arbre. Penché contre lui, le front apposé sur son écorce, communiquant comme le ferait un ami complice.

Le lendemain et après, Mamadou sembla avoir disparu, du même sursaut qu’il était apparu, soudainement. Autant son départ saignait le décor, marqué par l’habitude de sa présence, autant la date de son arrivée restera une interrogation, une réponse en suspend, car il s’intéressa au vieil homme noir, cet inconnu, comme à beaucoup d’autres choses, par hasard.


JUmo. 2007