vendredi 29 décembre 2006

Chrysalide.


Chrysalide.


Un Week-end s’annonce toujours à la suite d’une semaine passée à attendre que les amis deviennent disponibles durant ces deux petites journées, ou bien comme celui de l’inconnu que je vais vous raconter…

Vendredi, le soir est tombé, avec l’appréhension du lendemain. Il ne s’est pas rasé de la semaine, préférant attendre le samedi matin. Comme pour que son visage s’illumine par des soins que d’autres s’appliquent à établir quotidiennement, lui, réserve ce « privilège » à des occasions propices à la mise en valeur de soi. Sorti de la salle de bain, il passa en revue les quelques habits qui pourraient convenir à une journée chaude et ensoleillée, tout en apposant les traits d’un charme que lui-même cherche encore à définir.
Cette fin de semaine ne s’annonce pas du tout comme les nombreuses précédentes, il va sortir, voir des personnes qu’il ne connaît pas, découvrir ou redécouvrir les joies de l’imprévu.

Il laissa derrière lui, les habitudes, les peurs, pour enfin se ruer vers ce qu’il espère devenir un nouveau souffle. Il va la voir… Elle…

Elle qu’il connaît depuis tant d’années, et qu’il ne va voir pourtant que pour la deuxième fois aujourd’hui. Le temps, presque aussi imposant que la distance et les évènements a quelque peu limiter leur champs de rencontre.

Neuf heures trente, arrivé au point de rendez-vous, il devine déjà qu’elle sera en retard, et comme à son habitude, il est en avance. La bonne action de la journée a été de prendre sur le chemin un auto-stoppeur, avec qui il discuta le temps d’attendre qu’elle se manifeste. Un homme d’une vingtaine d’années, bien bâti, posé sur sa vie, attendant un heureux événement dans les semaines à venir, bref, un des rare à se satisfaire de ce que la providence lui a offert, aussi simple soit-elle. C’est beau.

Dix heures et demie, un petit coup de téléphone annonce l’arrivée attendue de ce petit bout de femme, si bien dans ses pompes, respirant la bonté et la joie de vivre. Elle arriva, accompagnée de son frère, dans leur jolie voiture blanche. Lui, était assis sur le bord d’un plot de béton, perdu dans ses rêves.

Deux minutes et trois sourires plus tard, les voilà embarquer dans les rues menant au marché, première étape de cette longue journée; qui mena dans un premier temps trois êtres qui ne se connaissaient pas plus que ce que les uns avaient entendu des autres ; vers des dialogues, empreintes de respect et de découverte. Le premier contact avec son frère se fit d’un naturel à toute épreuve, les rires et les petites vannes fusèrent tandis que la matinée passa sans accrocs, mise à part des petits chahuts qui lui rappelèrent qu’il était encore trop jeune pour continuer à s’enfermer sur lui même.

Le tour des stands fini, ils décidèrent de prendre le train pour passer l’après-midi à chiner sur Paris des chaussures et quelques vêtements… Il n’avait pas l’habitude, il accepta de découvrir… Les joies de peu de choses.
Retour au point de rendez-vous, embarquement dans sa vieille voiture bordeaux, il avait presque honte… Direction chez elle, afin de boire ce qui aurait dû être un dernier verre. Elle avait prévu une petite soirée avec plusieurs de ses amis afin de fêter dignement les dix-neuf ans de l’une d’entre eux.
Une poignée de copains arrivèrent donc au moment où l’ au-revoir s’imposait. De fil en aiguille, ils discutèrent tous ensemble pour se découvrir des points communs et finalement s’appréciés. Ils l’invitèrent donc généreusement à se joindre à eux pour passer ne serait-ce qu’une partie de la soirée.

Après réflexion, il accepta… Ils étaient tous sympathiques et l’imprévu avait pour une fois le goût acidulé du renouveau.

Arrivés à l’adresse de l’amie où la petite soirée devait se dérouler, encore d’autres poignées de mains, d’autres regards et petits mots de salutations s’échangent, avec ceux pour qui il fut une surprise. Les heures passent, un petit barbecue, repas prit sur la terrasse, autour d’une table, entouré par les fous rires, il se sent étranger à toute cette joie. Il est perdu dans ses pensées, mais partage un maximum de bonne humeur possible. Ces personnes font preuves de tellement d’amabilité et de gentillesse qu’il est mal à l’aise de n’être pas dans l’aura d’allégresse entourant manifestement la troupe d’amis. Il s’isole régulièrement le temps de rassembler ses idées, de songer à quoi dire ou répondre aux questions qu’il attend ou qu’il voudrait lui poser.

Le petit repas terminé, il pensa dire au-revoir à tout le monde pour s’éclipser et laisser l’assemblée profitée du reste de la nuit dans la complicité. Une réaction et un petit sourire plus tard, il est finalement resté pour la soirée et la nuit.

La fin de la fête s’alterna entre les petits tours à l’extérieur et les retours dans le salon, où la musique battait son plein. Dans un fauteuil trop usé par le temps, il se posa, les yeux levés vers le plafond. Un papillon de nuit entra par la fente de la porte-fenêtre, restée entre ouverte. Il n’était pas très beau, ni bleu, ni gris, volant simplement avec grâce limpide, pendant une dizaine de secondes. Un sourire s’échappa de son visage qui semble si dur à tant de gens. Il sortit de la maison pour respirer calmement, scrutant autour de lui, il cherchait de quoi s’asseoir, en vain. Le trottoir sembla propre, dans une nuit relative et décidé par l’influence de la fatigue, il s’allongea sur le sol, les yeux rivés sur le ciel légèrement coloré par la pollution et peuplés par les quelques étoiles qui ne s’avèrent pas être des avions.

Au moment de se lever, le papillon repassa au-dessus du réverbère situé à l’angle du portail d’entrée.

L’heure de se coucher pointe et tout le monde se serrent dans les bras, se promettant de bientôt se revoir, avec un sentiment de trop peu, dû au temps qui est passé comme une flèche. Une bonne douche, un petit matelas et un bon compagnon de fin de soirée plus tard, il s’endormit avec le sourire aux lèvres.

Tout le petit peuple se réveille doucement, lui, se retrouve entouré d’un des deux chats et du petit chien blanc terriblement câlins et dont la maîtresse vadrouille entre la salle de bain et la cuisine, toujours hyper-active. Le petit déjeuner se prend « dans le gaz » de l’heure relativement matinale où ils se sont tous levés.

Une petite heure après, direction la gare la plus proche pour y déposer une jeune fille, qui doit rentrer chez elle par le premier train.

Au-revoir.

Le compagnon de sommeil se trouvait un peu embêter pour regagner aussi son chez-lui, qu’à cela ne tienne, ils remontèrent tout les trois en voiture, afin de le déposer juste a coté de l’immeuble où il réside.

Au-revoir.

De retour chez elle, ils passèrent le début d’après midi dans le canapé à regarder la télé, avant de se décider à bouger voir un film au cinéma, elle, son frère, et lui. L’heure du départ approchait, et il ne savait toujours pas comment s’y prendre pour lui communiquer son envie d’aller de l’avant, tout en lui faisant comprendre que ce n’était et ne deviendrait jamais de l’amitié. Toujours indécis, il n’a jamais été doué pour ce genre de choses. La séance passa vite, trop vite, il était bien à coté d’elle, alternant les petits regards discrets et la fixation de l’écran ne pensant pas réellement au film.

Sortis du complexe de salles obscures, ils rentrèrent sous un violent orage qui ne laissait que peu de visibilité, il accompagna les longues minutes de trajet, et n’avait pas l’air de vouloir céder au soleil le moindre centimètre carré de ciel gris.

Enfin, il est temps pour lui de partir, de la laisser, seule avec son sourire omniprésent. Il récupéra ses affaires, serra la main de son frère, le remerciant de l’accueil qu’il n’oublierait pas. Sur le pas de la porte la pluie battante faisait un boucan du tonnerre de Dieu. Elle voulue l’accompagnée jusqu’à la voiture, en se pourvoyant d’un ciré apparemment trop grand. Il refusa, préférant qu’elle reste au sec dans l’embrasure de l’entrée. Il lui fit la bise et se dirigea vêtu d’un simple Marcel et d’un pantalon de lin vers sa voiture, sous le déluge, mais toutefois sans se presser, perdu dans ses pensées. Assis au volant, il prit une inspiration et ressorti, allant droit vers la porte, derrière laquelle elle était encore occupée à enlever son manteau.

Il frappa, elle ouvrit. Une simple question, droit au but « Ca te dirait que l’on se revoit plus souvent quand tout se sera tasser un peu, tes occupations, les miennes… ? ».

Une simple réponse, droit au cœur « J’aime bien te voir de temps en temps, mais je n’ai pas envie d’aller plus loin. »

Il lui caressa le visage de la main droite et la porte se referma dans son dos. Il resta cinq bonnes minutes dans sa voiture, la tête dans le volant, avant de relever les yeux, de démarrer et de voir.

Le papillon coincé dans une des ouïe de ventilation, se débattant pour s’en libérer. Il ouvrit la fenêtre, et l’aida à s’envoler…


JUmo.

Fils d'un rêve.


Fils d’un rêve.



Nous voici en 1986, un 23 décembre, aux alentours des 16h20, un enfant vient de naître à l’hôpital Rothschild dans le 12e arrondissement de Paris. Un nouveau venu peuple cette partie de la planète, après un retard de quelques jours, où sa mère a dû lutter contre la douleur avec un acharnement mené par l’amour qu’elle porte au fruit de son union marital. Le petit Georges naquit en ce jour d’hiver, à l’approche de Noël. Son père posa les yeux sur ce que le temps mit de précieux entre ses mains. Il tint son fils, son seul enfant, à l’aube de ses 40 ans, comme un rêve devenu palpable dans ce monde d’artifices.

Georges fut élevé dans un univers sans excentricité, son père étant ouvrier dans l’usine qui se trouvait en bas de la tour qu’ils habitaient, au 3e étage, et sa mère secrétaire dans une société du nord de Paris, à la Défense. Pas de réelles privations, ils avaient un niveau de vie très correct, mangeant à leur faim tout les jours, l’appartement était confortable et le rythme de vie agréable. Georges commença par fréquenter l’école maternelle d’Artagnan, où il connu un ami qui vivait dans la même tour que lui, deux étages plus haut et chez qui il passait une grande partie de son temps libre à se chamailler et à rire. Il passa donc une bonne partie de son enfance à Paris, dans son quartier qui devait compter une dizaine de rue qu’il parcourait tout les jours. La maternelle, l’école primaire et le « square de la baleine » étaient situés dans une espèce de « bloc » qui marqua des heures de jeux, d’apprentissage, et surtout les années innocentes de son enfance.

Il n’aimait guère le sport en ce temps là, et la conjoncture des événements, comme les enlèvements d’enfants, liés entre autres à la pédophilie, donna lieu à des prises de décisions sérieuses de ses parents vis-à-vis de ses loisirs. Il se trouva donc confronter à l’amour que ses parents lui portait, même si pour cela il passait des journées entières dans un canapé à regarder la télévision et à s’empiffrer. Sans même le savoir son destin était lié à cette période de sa vie.

Les années passèrent, les conditions de travail évoluèrent dans le mauvais sens, les loyers augmentaient et les salaires ne suivaient pas cette tendance. C’est ainsi que dans sa huitième année, Georges changea d’adresse, d’école, et dit au-revoir à ses amis de Paris qui lui manqueraient à jamais. Il se retrouva à Créteil, non loin de la rue piétonne, à la limite de la vieille ville. Il fréquenta l’école primaire publique Victor Hugo, qui s’imposait d’elle même par la couleur de ses briques, de ses pierres, son grand hall carrelé de mosaïques et ses arbres que les yeux d’enfants rendent infiniment grands. Il n’aimait pas cette nouvelle page de sa vie, si ressemblante soit-elle à la première, il ne connaissait personne, et personne ne voulait le connaître. Il regardait toujours la télévision à longueur de temps, et l’école lui inspirait de moins en moins la joie du partage. Il s’enferma bientôt dans un monde, dans son monde, là où personne ne pourrait le déranger ni le décevoir. Il ne devint pas associable, ni renfermé, mais il avait ses idées et ses envies que personne ne comprendrait jamais.

Deux années passèrent et il se retrouva au collège, gué de l’existence d’un enfant, où on lui explique que dorénavant, c’est un vrai grand, comme à la maternelle, comme à l’école primaire. Mais ce nouvel environnement scolaire lui dévoila que les Hommes qu’il allait rencontré dans sa vie n’étaient et ne seraient pas tous aussi gentils et sociables que lui. C’est ainsi qu’un jeune enfant obèse et sans réel sens de la répartie, ne se montre plus sous son meilleur jour, mais affronte les ennemis de sa bienveillance les yeux dans les yeux, à l’aide de ses poings et de sa colère, en ce temps là infantile.

Un soir de novembre, il avait 10 ans, et un film culte changea sa vie, comme quoi même la télévision peut avoir un effet bénéfique sur la jeunesse. Ce film fait rire aujourd’hui par son scénario typiquement américain, où un homme seulement doté de son courage accomplit l’impossible. La star de cinéma Sylvester Stallone incarnant un boxeur dans « Rocky » changea littéralement les ambitions et les motivations de Georges, qui, depuis cet instant, où le générique eut finit de défiler sur l’écran, ne cessa de tanner son père matins et soirs afin d’avoir le droit de prendre des cours. Et le papa promit à son fils de retenir le projet si les notes du bulletin de Noël sortaient de l’ordinaire auquel ils étaient habitués avec sa femme. Il faut bien avouer que le coup de la carotte marcha plutôt bien. Georges se retrouva propulsé au rang de deuxième de la classe, chose si inhabituelle que son père fut partager entre le contentement de voir que son fils était capable, et le fait qu’il ne fournissait des efforts seulement dans un but précis. Finalement la joie l’emporta et ce grand môme qui mesurait presque 1m65 et pesait 80 kilos, fut inscrit au lendemain des vacances de Noël, marquant ses 11 ans, au club de boxe Française de l’USC, l’Union Sportive de Créteil.

Cet enfant dont la croissance n’était pas achevée, qui avait passé plus d’heures à accumuler les épisodes de dessins animés qu’à pouvoir jouer avec les gamins de l’école, se retrouvait à apprendre les rudiments d’un sport qui avait éveillé son esprit. Néanmoins les mois passèrent et les lacunes apparurent très vite. La boxe Française nécessite un bon contrôle de ses membres inférieurs, que ce soit pour les appuis, autrement dit la défense, ou l’attaque, à travers les différents mouvements de pivot entre le tronc et les jambes, jusqu’aux bouts des chevilles. La souplesse et l’aisance sur un ring sont primordiales, autant de qualités que Georges n’arrivaient pas à acquérir, du fait de son surpoids notoire, qui encombrait son souffle, ses articulations, et donc ses capacités à évoluer dans cette euphorie qui faisait que les petits Hommes en devenaient de grands, par la force que chacun possède, ou peut apprivoiser, la force physique. Il passait aussi le plus clair de son temps à s’entraîner contre des jeunes de deux à quatre ans plus âgés que lui, catégorie de poids oblige.
Des mois difficiles au bout desquels, le gamin atteignit le terme de sa douzième année d’existence, endurci par les heures de course à pieds imposées par son entraîneur, Carl Micken, un allemand de souche qui avait été un jeune champion, ralenti par la venue de ce que la majorité des Hommes appelle un heureux événement. Il passa donc une année à se prendre des coups plus qu’il n’arrivait à en donner.


Georges passa de tout au tout et son père l’inscrivit presque à contre cœur aux cours de boxe anglaise, car comme pour tout bon français moyen qui se respecte, l’anglais n’est pas apprécié, et ce dernier le lui rend bien.
Passer le cliché du conflit populairement « correct », il fallut un certain temps d’adaptation à notre jeune homme pour prendre de bons réflexes, et s’adapter aux bases de ce qui allait devenir le seul guide de sa vie, la boxe, descendante directe du pugilat.
Garder le poing gauche bien haut, prêt du visage au moment de balancer un « jab » ou un coup au corps, reprendre son souffle en alternant les esquives droite/gauche, en se mouvant, même lourdement, sur le ring, tel un ours blessé, épuisé mais continuant de lutter. Les footings organisés autour du lac de la base de loisir, les séances de tabassages du sac de frappes, à la limite de se rompre les doigts ou les poignets. Autant d’instants difficiles mais qui prenaient tout leur sens dans le partage des serviettes imbibées de sueur ou des vestiaires collectifs, d’où les rires se mêlaient aux cris de fatigue ou de douleur.

Il fut coupé dans son cursus scolaire et sportif par un événement de taille, ses parents décidèrent de déménager une nouvelle fois, mais beaucoup plus loin de Paris, mais aussi de Créteil, et par conséquent de ses amis du club. Il passa ce qui allait être sa dernière année dans la ville de Créteil à côtoyer le souvenir des premiers mois où il avait enfilé des gants. Il endura les coups, les assauts soudains et bruts de jeunes hommes taillés dans le muscle et l’agilité. En février 1999, il emménagea dans sa nouvelle maison, mais cette fois-ci une véritable, avec une pelouse qui semblait ne pas avoir de fin, une allée de pierres, et de grands arbres dénués de feuilles, majestueusement charismatiques.
Un nouveau rythme de vie, auquel tout homme prend vite goût, les nuits silencieuses, les gazouillis d’oiseaux se réveillant dès l’aube n’étant plus couvert par les moteurs d’automobiles ou de scooters. Autant de détails insignifiants, mais qui se dévoile au fur et à mesure que la tranquillité se montre au regard.

Georges tenta de rester dans l’univers de la boxe qui lui plaisait tant, mais les conditions avaient changées, de nouvelles dépenses, entre le crédit de la banque, les nouveaux impôts, la nouvelle école et finalement un tas de nouveaux soucis, il ne restait pas grand chose pour les loisirs. La boxe resta en suspend dans la vie du jeune homme, qui désormais était emprunte de bricolage journaliers, de réparations diverses, car la maison n’était pas neuve, il s’agissait d’une ancienne maisonnette de fermier, qui s’était vue juxtaposée d’autres pièces au fil des décennies. Le seul contact qu’il garda avec la boxe anglaise fut les courtes séances de sport au collège, durant les classes de 5e et de 4e, mais même si cela ne venait pas des professeurs ou des camarades, la boxe perdait de sa saveur, un sentiment d’abattement et de perte de temps l’envahissait à chaque « cours ». Manque de matériel, combiné à cet aspect négatif que les gens portent souvent à ce sport et un réel défaut de motivation des compères le mena à une baisse de courage et de patience. Il recommença naturellement à s’ennuyer de sa vie, jusqu’à son passage du collège au lycée.

Un caractère forgé dans l’acier qu’était devenu son esprit, Georges, à quatorze ans, atteignit les 1m80 et les 110 kilos à la balance. Les deux dernières années n’avaient pas été le fruit de la dépense physique, mais plutôt des moments de partage avec son père, qui lui apprit beaucoup de ce que pouvait être la vie des Hommes de petites fortunes. A son âge, il avait des notions de plomberie, de maçonnerie, d’électricité, de jardinage et de bricolage dans leurs généralités. Mais surtout il avait depuis longtemps acquis les principes de la mécanique, les mains noires de crasses sortis des vieux moteurs ronflants de sagesse.

Il passa sans réels problèmes dans la classe de seconde professionnelle qu’il avait choisi, même si à la surprise générale, surtout la sienne, il avait réussi à décrocher son diplôme du brevet des collèges. Il quitta le peu de connaissances qu’il avait de l’établissement d’enseignement secondaire, pour connaître de nouvelles têtes, de nouveaux défis, et surtout de nouveaux adversaires. Puisque comme il le savait depuis longtemps maintenant, la gentillesse et la discussion n’ont pas souvent de débouchés sur l’esprit des Hommes inspirés par l’hâblerie et la méchanceté. Il fallut donner du poing et de la rage pour instaurer cette tranquillité méritée, ainsi que le respect que chaque Homme réclame et qui ne vient malheureusement que peu souvent. Surtout lorsque le regard des autres jugeait que son obésité le rendait impotent, alors qu’il en était tout autrement, même si un certain handicap altérait il est vrai, ses capacités. Pour lui n’importait pas les coups reçus, les bleus au visage ou sur le corps, mais simplement ce sentiment de respect qu’il devait inspiré aux autres, comme pour montrer que ses aptitudes étaient loin de ce qu’elles laissaient paraître.

C’est donc par l’intermédiaire d’une brutalité notoire qu’il laissait la trace d’un jeune homme aux tendances décadentes, mais il ne devint pas fou, bien au contraire. Il réussit à s’inscrire aux cours de l’association sportive de son lycée. Tout les mercredi après-midi, pendant trois heures, il renouait avec les gants qui finissaient par ne faire plus qu’un avec ses mains, un casque qui l’encombrait plus qu’il ne le protégeait, et l’odeur de la sueur.

Paradoxalement à ces événement, il avait commencé à fumer la cigarette à la fin de sa onzième année, prit entre les abrutis qu’il tendait à imiter et cette foule de gens qu’il avait pu croiser et qu’il voyait la clope au bec. Cela n’avait pas l’air d’avoir une incidence quelconque sur leur vie, et pour lui, un môme, cela ne semblait pas être plus qu’un artifice, comme une jolie paire de chaussures ou un beau pull-over. Et puis même après avoir assisté aux séances de préventions de l’éducation nationale, il ne s’est pas vraiment rendu compte de l’avenir de ce vice. A l’aube de ses 17 ans il avait donc développé une force relativement au-dessus de la moyenne, mais aussi atteint le poids de 125 kilos, sans réellement s’être vu devenir ce qu’il regarda un matin, à 6h30 en se levant, comme le défi de sa vie. C’est de ce jour qu’il décida que sa volonté le démarquera à jamais de tout les autres Hommes. Et le véritable déclic ne fut pas son reflet, ou le dégoût qu’il lui inspira, mais l’envie d’enfin ressembler à une image que son ego respectera. Influencer non pas par la société et le dépit qu’elle inspire, mais vraiment pour que ce qu’il demande à son corps puissent ne plus jamais être refoulé. Courir, respirer, bouger, sans douleurs ou excès de fatigue, mais aussi s’habiller autrement, ne plus regarder les vêtements qui plaisent mais ne sont jamais disponible à la taille recherchée. Stopper les petites déceptions de la vie pour les remplacer par une grande et humble fierté.

Il engagea donc un processus, une sorte de métamorphose physique qui allait aussi déteindre sur sa vision de l’avenir, entrecoupée de péripéties que tout les Hommes rencontrent, et que les « savants » cachent derrière les mots « expérience de la vie ». Pendant un peu plus d’une année, il adapta son régime alimentaire quotidien à trois repas par jour, désormais vide de petits écarts que les pensées réclament mais dont le corps n’a nul besoin. Pas de médecin, pas de comité de soutien, personne, juste lui, son assiette, sa tête et sa détermination. Il ne s’était pas contenté de ralentir et d ‘équilibrer son alimentation, les nombreuses semaines furent accompagnées d’une séance journalière de course à pieds, seul remède efficace et totalement gratuit, sans effets secondaire autres que la satisfaction et le dépassement de soit.
Il ne se pesa jamais durant cette période, il attendit simplement de pouvoir enfin s’habiller à sa guise, et un jour il monta enfin sur une balance, affiné mais néanmoins musculairement diminué, pour voir le nombre 80 s’afficher.

Le voici à l’approche de ses 18 ans, content de l’étape qui est derrière lui, et conscient de celles qui s’approchent.
Les études furent finalement achevées dans la douleur d’une passade sentimentale, une période de sa vie qui resta à jamais dans sa mémoire, et le guida pendant toute une année sur le chemin de l’effort, dans le sillage de la colère. Comme une cible à atteindre, que son œil pouvait entrevoir, mais que son cœur pleurait, il coura prêt d’une heure par jour, à s’en rompre les chevilles, et commença une activité qui devint une échappatoire, une soupape d’où s’échappaient ses pensées les plus morbides ; la musculation. De ses 18 à ses 19 ans, il resserra les liens qu’il avait avec ses principes et ses envies, en se détachant du monde qui l’entourait. Il offrait son corps aux souffrances de contractions musculaires intenses prêt de trois heures par jour, samedi et dimanche compris. Les semaines passaient et ne laissaient aucunes traces. Enfermé dans la prison que son esprit avait conçu, il créa une atmosphère pesante autour de lui, préférant de lui-même ne pas en faire pâtir ses amis, il les écarta de ses sauts d’humeur.
Certains se scarifient, d’autres se suicident tout bonnement. Lui, avait choisi de passer outre la douleur et la souffrance du cœur. La tristesse et l’amertume au service de la détresse. Ces émotions, il en usa comme des outils, et tel le couturier qui met en forme de simples morceaux de tissus, il emprunta les aiguilles du temps afin de suturer les maux de son présent.

Âpre fut l’année qui s’écoula, et sans réellement s’en apercevoir, il réussi à sortir de la grotte obscure dans laquelle ses idées fustigeaient, pour enfin affirmer ce qu’il était devenu et ce qu’il songeait rester. L’anniversaire de ses 19 ans était déjà derrière lui depuis quelques mois, et même en communicant un maximum de choses, ou d’impressions avec ceux qui l’écoutaient, inconnus ou connaissances, il sentait toujours cette marge qui sépare ceux qui ont souffert des autres. Non pas qu’il se soit senti seul à avoir vécu des instants difficiles, mais plutôt qu’il eut l’impression d’être un des rares Hommes qui ne se soit pas contenter de vivre ces moments pour les raconter année après année, sans réellement comprendre que la faute n’est pas forcément issue de ceux qui nous entourent. Alors il parla mainte fois dans un vide de réflexion notoire, dans lequel il nageait seul, contre le courant de l’incompréhension et de l’égoïsme des Hommes d’aujourd’hui.

Il ne cessa pas de pratiquer ces séances de sport qui l’avaient tant aider à surmonter les pires épreuves qu’il lui eut été données de traverser. Toujours seul, il ne demandait cependant plus à ce que le Monde le laisse parcourir son temps, mais au contraire, il attendait quelque peu passivement, que devant lui se dessine un être qui lui communiquerait par un simple regard que dans la vie il n’était plus un insolite persuadé que rien n’est dû, sauf le respect.

Voici l’histoire courte d’une jeunesse d’Homme si simple d’esprit, qu’il ne comprenait pas la méchanceté et la vanité de l’Humanité à se placer au-dessus de principes et de morales qui font que les uns ne tuent pas les autres.

Le petit récit prend fin, mais le petit Homme continu son chemin, inaperçu des yeux du monde.


JUmo.

Le mérite


Le mérite.

Un jour de septembre, la météo de la veille avait assuré un soleil devant durer toute la journée. Le temps est de marbre. Un marbre grisâtre en ces heures où un jeune homme se trouve dans une ville inconnue, à accompagner son père à l’enterrement d’un de ses amis.

Il le voit triste, maintenant un regard vers le ciel, d’où les gouttes tombent. Toute la famille du défunt est là, ces gens qu’il ne connaît pas pleurent, les uns après les autres, les uns avec les autres. Il compatit à cette douleur générale, mais n’est pas triste pour les mêmes raisons. Les larmes aux bords des yeux, il ne pleure pas. Il ne connaissait pas vraiment, non plus, cet homme qu’il a refusé de voir à l’état de cadavre, dans le fond d’une boite devenue le dernier logement le menant sur la route de l’éternité.
Il n’a que le vague souvenir d’un ouvrier se tuant à la tâche avec son propre père, suants comme les courageux qu’ils ont toujours été. Un homme bien portant, et qui, comme trop de méritants, s’en va à présent vers le chemin de l’oubli.

Il ne pleure pas.

Il se sent coupable de ne penser qu’au jour où le tour de son père viendra. Ce jour où l’éreintement de la vie aura raison de lui. Il songe qu’il aurait voulu le rendre fier de lui, à l’image d’un fils aimant. Des brides de souvenirs reviennent, l’enterrement du grand-père, les engueulades avec le père. Finalement, Toutes ces émotions font que le temps et ses sentiments le rattrapent. Il a été, est, et sera à jamais un père, son père, un des meilleurs. Trop de choses non dites, de phrases étouffées, il ne lui a pas dit qu’il l’aimait depuis… Il ne se souvient plus. Il sait qu’il en est conscient, mais il faudra qu’il le lui dise, un jour, encore.

Les heures défilent et le cortège se dirigera bientôt vers l’église, visible du bâtiment des pompes funèbres. Il regarda le convoi se mouvoir à pas de loup, et dans l’étreinte de la douleur, il se sent étranger. Il préfère s’éloigner, se tenir à l’écart, et décide de retourner à sa voiture. Il fume une cigarette assis sur l’aile avant gauche, en regardant ses chaussures trop grandes et songeant à ce chemin que son père prendra aussi.

Le ciel nuageux l’inspire. Les justes s’en vont, les pourris restent. La mort est injuste. Ce temps le fait sourire, il est comme le reflet de la mélancolie générale, comme si il pompait le flot de ces larmes tombées au sol pour en charger le firmament. Il voudrait que le moment venu, le passage de son père vers ce que l’on appelle « l’au-delà », soit accablé d’une des pires tempêtes que la France ait connu. Un orage où la pluie remplacerait le brouillard, tombant à ne plus en voir un sol devenu liquide. Du vent à en décoller ses pieds de la route. Tout cela de manière à extérioriser cette colère qui émanera de son âme, cette colère qui ne s’échappera jamais totalement de son esprit.

Les gens, au fond, il ne sait pas ce qu’ils ressentiront, mais ils compatiront sûrement, tout comme lui aujourd’hui.

Les grands pleurnichards ne seront pas acceptés de son regard, le père n’aurait pas aimé.

Un long silence vaut mieux que des litres de larmes, si salées soient-elles par un corps en colère contre la mort, qui nous emportera tous.


JUmo.

Et demain ?


Et demain ?


Les cheveux en bataille, le regard dirigé sur la vitre où le soleil frappe, elle pense. Elle pense à je ne sais quoi, peut-être à ce petit rien qui manque à sa vie, ou au simple fait que l’astre de midi donne un éclat à cette journée qui débute.

Je ne la connais pas, ni de nom, ni de vue. C’est la première fois que je la croise, dans ce train de banlieue qui me ramène du coté de chez moi. Les traits de son visage me semblent soulignés d’une dureté qui, je l’espère ne la caractérise pas. Un menton finement dessiné, laissant apparaître deux lèvres sensuelles, un nez mince, surplombé de ses yeux bruns d’une profondeur magnifique.

Elle se ronge légèrement les ongles, dans l’attente que le train daigne repartir d’une station d’arrêt. A ses cotés deux sacs, l’un rouge, l’autre plus petit et noir, me permettent d’imaginer qu’elle aussi rentre chez elle. Un magazine intitulé « Amour » qu’elle vient de ranger dans son bagage me fait discrètement sourire, comme un euphémisme à ce que chacun cherche, mais refuse d’accepter lorsque le destin le lui offre.

Mais peut-être qu’elle vit déjà ce sentiment qui aujourd’hui exprime aussi une condition, un équilibre de vie ?

Ou bien le monde est-il emplit de cet égoïsme sociétaire qui nous condamne à mourir seuls ?


JUmo.

Un homme contre le destin.


Un homme contre le destin.


Les années quarante, des temps où le mot « mariage » avait une signification profonde pour de nombreuses familles. Il impliquait bien souvent le début d’un nouvel acte de la vie d’un homme ou d’une femme. Une sorte de nouveau départ dans le chemin qui mène à la mort, où l’homme était censé chérir sa compagne tout au long de ce serment devenu sacré au fil des âges. Quelques âmes respectaient cette promesse sentimentale faite d’amour et de sincérité.

1946, un été d’après-guerre relativement ensoleillé, bourgeons de printemps éclos et arbres étoffés d’un vert charnu bordent les routes et chemins de la campagne bretonne.
Pierrick Leguénec, homme bien bâti aux cheveux bruns et aux yeux verts, travaille comme compagnon charpentier dans le village voisin de Loguivy-de-la-mer, un hameau de trois maisons familiales dont celle de sa famille. Cela fait dix ans qu’il monte le long des murs de pierres des bâtisses, pour en poser l’ossature de bois qui supporte les lourdes toitures d’ardoises noires. Un métier qui lui prenait une bonne partie de son temps de jeune homme, ainsi que du temps qu’il consacrait à son avenir personnel. A vingt-cinq ans il était toujours seul et ne voyait pas encore l’utilité de se marier si jeune. Il besognait avec son père, comme son père l’avait fait avant avec le sien, sur les toits, pour que ceux qui n’en avaient pas puissent un jour en avoir un au-dessus de leurs têtes.

Le mois de juillet passait à préparer sa propre maison à l’hiver à venir. Vérifier les attaches, les points d’encrages et autres précautions d’usage dans la région. Il attendait Août avec impatience, le père Felioc passerait dans son pick-up Peugeot lui annoncer si en septembre il pourrait enfin avoir le chantier de deux maisonnettes de l’île de Bréhat. Il convoite depuis des semaines d’aller sur ce petit lopin de terre, qui, vu du continent semble si paisible et tranquille. Quand il rendait visite à sa tante de Lannévez, il passait des soirées à se balader le long des quais de la Gare maritime de Ploubazianec, et jusqu’au couché d’un soleil lointain, il rêvait d’une autre vie, d’un autre éveil. « Les vagues me regardent » disait-il à cette époque. « Elles se brisent contre l’éternité de la roche des côtes, et à la nuit venue, s’effacent dans mon esprit, d’une puissance immortelle. » .Il aime son pays, cette odeur de frais, le vent contre son visage dont les paupières se plissent sous l’effet de la puissance de la Manche.

Le sommeil lui vient comme celui des marins, à une heure tardive de la soirée, et toujours en rêvant, il s’endort la tête apaisée par le silence des bombes disparues. Tout un pays à reconstruire, et si peu de bras valident et courageux. Il sait ne jamais manquer de travail pour les années à venir, le labeur ne l’abandonnera pas. Mais en silence, allongé dans son lit, sous sa couverture, ils pensent de plus en plus à cet avenir qui se dessine pour tant de ses amis, qui sont accompagnés de ce qui s’appelle, une femme. Et rien que le mot lui donne le frisson, frémissement de l’inconnu, du mystère et néanmoins de l’accessible. La guerre n’a pas laissé énormément d’hommes biens portants et consciencieux ; la mer continue d’en emporter quelques uns.

A peine les tâches personnelles de Juillet achevées, il enchaîna sur les travaux que requérait la vieille grange du père Felioc, où quelques cinquante bovins trouvaient un abris aux heures des nuits côtières. Le vieil homme résidait aux abords de Lannévez. Il était venu le chercher avec sa voiture pour emmener le matériel, les chevrons, bastins, et autres poutres attendaient déjà la découpe chez Felioc. Sur le chemin les discutions du pays se tenaient en breton et il prit un ton grave quand le sujet du chantier des deux maisons de Bréhat arriva sur le tapis. Penaud, Pierrick ne tarda pas à se taire voyant que les mots ne sortaient plus des lèvres vieillies et sèches du vieux rigolo. Il laissa tarir le jeune homme jusqu’à chez lui pour finalement lui lâcher un grand rire malin en lui annonçant que le seize du mois il l’aiderait à prendre ses bagages et outils pour se rendre à la Gare maritime de Ploubazaniec, où un de ses amis pêcheur l’emmènerait au petit matin jusqu’à l’île. D’un pas joyeux ils entrèrent tout deux dans la vieille maisonnette, la dame Felioc leur avait préparé une boisson du pays dans deux verres, semblaient-ils millénaires. L’heure tardive imposait le repos avant les dures journées qu’attendaient Leguénec, sous le plein cagnard de Bretagne.

Il termina le quinze Août de reclouer les tôles de l’appentis de la grange à bestiaux, le vieux Felioc l’attendait sur le pas de sa maison. Il savait que le jeune charpentier avait dû travailler dur afin de finir à temps pour le départ du lendemain. Il faudrait encore se rendre à Loguivy, chez Pierrick pour récupérer les outils lui manquant avant la nuit. Et cette fameuse nuit fût bien difficile, le charpentier ne dormit point, sous l’effet de l’excitation et des courbatures de ces deux semaines d’efforts, quasiment douze heures par jour, heureusement que le vieil homme lui avait préparer un lit.

Le seize aux aurores, le soleil se lève doucement, il est déjà debout, fin prêt à partir avec son sac sur le dos. Le matériel avait été chargé la veille à l’arrière de la voiture. Ils partirent sur les coups de six heure, accompagnés de la brise et d’une lumière rosée. En une heure ils furent arrivés à la Gare maritime, là les attendait le capitaine d’un magnifique bateau du pays, vert et blanc. Il s’appelait Renan, propriétaire de la Marie depuis trente-cinq ans et ami d’enfance du père Felioc. Les trois hommes se serrèrent la main, les trois matelots s’attelaient à embarquer les filets, les amorces et tout autres marchandises à destination de Bréhat, car les pêcheurs s’étaient habitués à amener médicaments et autres produits nécessaires aux familles de l’île. Le capitaine indiqua un coin du bateau où Pierrick déchargea tout ses bagages et outils, aider par les marins de la Marie.

Ils prirent le large aux alentours de huit heure, après un bref au-revoir et quelques politesses. Le vieux les regardait partir le sourire aux lèvres et la main en l’air en criant « Tâche de te trouver une belle dans ce pays ! ». Pierrick ria, comme pour rester sur le ton d’humour de cette boutade, mais intérieurement il ne souriait pas.
Le voyage durerait quatre bonnes heures selon les dire de Renan, ils le déposeraient à la Gare maritime de Bréhat, avant de repartir directement vers le large.

Sur le chemin invisible tracé par la houle, la brume se promène par banc de taches grisâtres sur le sol liquide de la mer. Déjà l’île se rapproche, ses contours s’affirment et effacent la ligne d’horizon, le soleil monte. Quelques bateaux se croisent, les sifflements rauques des cornes de brumes résonnent en échos, la politesse des marins s’allie aux cris des mouettes. Un homme, à tribord s’accoude le long du bastingage et rêve. Elle est si belle l’île, les espérances, le travail l’attendent là-bas. Elle donne à sa vie cet aspect d’inachevé, mêlé pourtant de possibilités infinies.
Qu’importe la force de ses envies, il s’était toujours limité au travail, qui, en ces temps-ci avait une importance notoire dans la vie et la conscience des Hommes. Les femmes préféraient un mari courageux et travailleur, à ce qui s’appelle aujourd’hui l’expansion des connaissances intellectuelles et corporelles.

La corniche de la Gare maritime de Bréhat pointe enfin à une centaine de mètres, plein Nord, encore un quart d’heure et il mettrait le pied à terre. Les matelots s’affairaient à préparer les cordes d’amarrage, Renan avançait sa manœuvre, le quai approche. Le Bateau toucha le mur de roc, Pierrick perdit légèrement l’équilibre avant de se stabiliser sur le plancher de chêne du vieux navire. Il était presque midi lorsque les plots du ponton harnachaient enfin le chalut à l’île. Des habitants attendaient et arrivaient encore aux abords de l’embarcation, venus en hâte chercher ce qu’il y avait pour eux dans les cales. Leguénec offrit son aide pendant prêt d’une heure pour vider les soutes de toutes ces marchandises.

La Marie repartit de Bréhat vers les Quatorze heure en laissant seul Pierrick, sur le bord de l’eau, avec ses outils et son sac à bretelle. Le vieux Felioc lui avait dit de patienter le long de la baie et qu’un homme du nom de Gawen viendrait le chercher pour l’emmener vers Kérarguillis, à la pointe Nord de l’île, où les deux maisonnettes attendaient leurs soins. L’homme vint, mais Felioc n’avait pas dit que ce serait en charrette attelée d’un âne qu’il arriverait. Quel vieux malin.
Gawen arriva tranquillement aux cotés du charpentier, assis sur sa caisse à outils. Pierrick se leva, lui serra la main, l’homme parlait en breton comme Felioc, et ses phrases ne passait pas la barre de la dizaine de mot. Passées les politesses d’usages pour des inconnus, ils chargèrent la charrette du matériel de Pierrick, avant de repartir vers les maisons qui longeaient la côte sud de l’île. Gawen lui fit faire un détour par le marché qui battait son plein en ces heures de repas, il y prit de quoi faire le chemin du retour vers Kérarguillis. Apparemment il faudrait environ une journée pour regagner les limites du village, ils quittèrent la frontière de la Gare maritime en côtoyant un sentier de galets, qui les mena directement dans les plaines éparses de l’île.
Avant la nuit tombée, ils s’installèrent sur le bord de la route, déroulèrent un torchon d’où Gawen sortit une saucisse sèche et un jambon. Pierrick ramassa de quoi faire un feu, quinze minutes suffirent à ces deux hommes pour se préparer un repas, chacun de leur coté des flammes. Ils ne parlaient pas beaucoup, mais engagèrent tout de même sur les baraques de Kérarguillis. Pierrick posa des questions relatives aux tâches à entreprendre, Gawen lui expliqua qu’il n’allait pas se retrouver seul, il y aurait un maçon, un couvreur, et un « homme à tout faire », une sorte d’aide de camp de l’armée, légèrement touche à tout, qui servirait de manœuvre. De fil en aiguille, ils discutèrent une bonne partie de la soirée, la nuit devint noire, les étoiles apparurent dans la pénombre. Pierrick ne savait pas ce que Gawen faisait de sa vie, ni quel était son métier. Il avait l’air d’un baroudeur, d’un vieil homme que l’île avait fait naître sur ses terres et pour qui la moindre parcelle de broussaille devait avoir une histoire, qu’il ne racontait pas. Il l’avait regardé donner une poignée de fourrage à son âne, en appuyant une caresse entre les yeux de la brave bête.

Pierrick s’allongea, la nuque sur son sac, le front vers le ciel. Il scruta les points de lumière étalés sur le fond noir de la nuit, il s’endormit.

Le soleil pointa de bonne heure sur les pierres froides de Bréhat, les premiers rayons réveillèrent les deux hommes quasi-simultanément. Ils sourirent en se jetant un regard qui évoquait qu’il fallait se lever pour bientôt reprendre les heures de marche. Ils grignotèrent un bout de pain entre deux lapées de lait, repartirent sur la route et cette fois-ci, ils dialoguèrent le long des allées jusqu’à ce que, à midi, Kérarguillis s’incruste dans le paysage.

Treize heure, enfin Gawen montre du doigt la petite maison de pierre où il habite depuis qu’il a épousé sa femme Louise. Pas de marmots, des poules, un mouton, et une petite grange de bois. Louise sort en riant, embrasse son mari et file continuer de préparer le repas. L’âne se voit déchargé de la charrette et se repose à l’abris d’un marronnier. Ils déjeunèrent jusque vers les quinze heure, Gawen raconta quelques histoires que l’île n’exportait pas, mélanges de ragots dont les bases pouvaient sembler plausibles.
L’âne eut une pause qui lui laissa le temps de se requinqué avant de reprendre un trajet qui allait les mener jusqu’où l’impatience invisible de Pierrick attendait de se rendre depuis presque trois mois… La pointe Nord de Bréhat, aux deux maisonnettes de pierres vieillies par la mer.

Louise avait préparé les vivres d’une semaine pour le charpentier, et sur le chemin, Gawen lui expliqua qu’il passerait tout les dimanches lui amener de quoi tenir la semaine suivante. Vers dix-huit heure, ils étaient enfin arrivés au chantier. Les deux maisons se faisaient face l’une à l’autre, les deux toits écroulés, des monceaux de roches où poussaient les herbes folles, témoignaient de leur age. L’âne fut soulagé de son fardeau, le matériel et les outils trouvèrent leur place dans un coin d’une des maison relativement à l’abris des intempéries. Ce soir encore ils campèrent à la belle étoile, Pierrick heureux d’être en ces lieux, si loin de chez lui, et pourtant si proche de, lui.

Gawen repartit le lendemain matin sur les coups de dix heure, après s’être assuré que le jeune charpentier saurait dorénavant se débrouiller seul. Les autres ouvriers devraient arriver d’ici une semaine. Ils étaient tous résidents de l’île, mais avaient des travaux en cours sur d’autres fractions de Bréhat.
Leguénec se retrouvait donc seul pendant prêt de sept jours, il comptait bien savourer l’air de la Manche, les couchés et levés de soleil, les étoiles, le son du vent d’ouest, et toutes ces couleurs… saveurs mélodiques d’une petite lande de France.

Au troisième jour, un vent puissant amena la grisaille. La pluie commença à s’abattre en fin de journée, une pluie d’été, qui apparaissait par vague alternative de quinze minutes, entre deux coups de tonnerre mêlés d’aveuglants éclairs. Il mit ses outils et ouvrages en cours le plus à l’abris possible et alla se caler dans le coin d’une des deux maisons dont le toit ne s’était pas totalement effondré. Il resta là, blotti contre un mur de pierre, avec vue sur la mer, qui avait des couleurs de ciel gris. Toute la nuit l’humidité et le vent s’accrochèrent sur la terre, comme pour fusionner cette petite parcelle du monde à la majorité liquide de la planète. Pierrick s’était endormi dans le bruit de l’orage, qui avait apparemment absorbé, ou du moins canalisé l’attention qu’il portait d’habitude à ses projets inaccomplis, le soir venu, à l’heure où la solitude adore faire ressentir son propre poids.

Il passa le reste de la semaine à continuer de travailler, perché à plusieurs mètres du sol, ou bien à couper, tailler, les monceaux de bois qui lui avait été acheminés des semaines à l’avance. La deuxième semaine, le couvreur et le maçon arrivèrent accompagnés de Gawen et de Fielk, le manœuvre. Il ne s’acoquina pas tellement avec le bâtisseur, ni l’ardoisier, mais passa les trois semaines suivantes à besogner seul ou escorté de Fielk, qu’il appréciait particulièrement. Il était à peine plus jeune que Pierrick ce Fielk, mais savait s’adapter à la nécessité du charpentier ou du maçon, et ainsi méritait son salaire qui lui était alloué par les deux hommes, chaque fin de semaine. Un peu simple, mais rude et robuste, le labeur ne lui faisait pas peur. Gawen passait lui aussi chaque dimanche apporter de quoi manger à Pierrick et Fielk, car les deux autres ouvriers rentrait chez eux chaque soir, retrouvé famille et logis. Leguénec et l’homme à tout faire se trouvèrent de nombreux points communs, une attirance pour une vie tranquille, simple et qui sauraient peut-être les combler de ce qu’ils appelaient « le mérite ». Une espèce d’alliance entre eux, leur âme et celui qui vivait dans les cieux et que les croyants nommaient « Dieu ».

A la mi-septembre le chantier avait bien avancé, le maçon avait finit sa part du travail. Ne restait présent que Fielk et Pierrick qui rencontrèrent quelques difficultés à mettre en place, deux charpentes complètes à eux seuls. Le couvreur n’était finalement resté que deux journées, le temps pour lui de prendre note des différentes mesures et donc du matériel qu’il lui faudrait lorsque ses qualités seraient requises, une fois les tâches du charpentier terminées. Le maçon revenait de temps à autre affiner quelques détails et régler de petits soucis…
Gawen arriva un dimanche, un petit sourire caché aux coins des lèvres et resta plus longtemps qu’à son habitude, à parler de peu de choses, demandant des nouvelles de l’avancement des travaux, etc. Et finalement arriva le sujet qui le travaillait depuis toute la semaine, le Bal de Kérarguillis, qui se tenait chaque samedi de la troisième semaine de Septembre, tout les ans. Il invita Pierrick et Fielk à se joindre à la fête, Fielk voyait déjà le festin qui s’étalerait devant son grand estomac, qui, en temps festifs devenait aussi gros que ses yeux. Pierrick, lui, savait que cette fête impliquerait de côtoyer la foule, de voir des gens inconnus, faire des connaissances, choses pour lesquelles il n’était pas tellement doué. « Et la danse ! Mon dieu », se dit-il ; il n’avait jamais danser de sa vie, et les femmes, il lui en montait des frissons d’appréhension. Commençant par refuser, Gawen resta jusqu’au repas du soir qu’il partagea avec les deux ouvriers, à répéter, raconter de vieilles histoires relatives aux années précédentes. Les couples qui s’étaient formés, mariés, les bagarres avec les « p’tits merdeux du coin » comme il les appelait… Si bien que Leguénec accepta le lendemain matin avant que Gawen ne reprit le chemin de sa chaumière, retrouver sa Louise… Rencontrée l’année 1921, au Bal de Kérarguillis.

La semaine que Pierrick et le manœuvre entamait les menait donc au bal du samedi soir, les journées passèrent. Fielk s’endormait toujours d’un sommeil lourd, un sommeil d’enfant, qu’il fasse froid, qu’il pleuve… Notre charpentier, restait éveillé longtemps, emmitouflé dans sa couverture, sous l’ossature d’une des deux maisonnettes, qu’ils avaient achevé la semaine précédente. Il repensait encore aux ouvrages des journées à venir, aux rêves de ses nuits parfois tourmentées. Il sortait souvent aux heures les plus tardives, dans l’obscurité, regarder ces deux habitations, auxquelles, quatre hommes rendaient finalement le charme d’en temps. Elles prenaient des formes structurées, que les rayons lunaires soulignaient jusqu’au moindre détail du faîtage. Il retournait se coucher, prêt de la cheminée qui fumait de nouveau, lui réchauffant le corps aussi bien que le cœur… Il s’endormait.

Samedi, sur les quatorze heure, Gawen arrive avec un chariot mené par une vieille jument essoufflée, les deux travailleurs rangent encore leurs outils à l’abris, rassemblent leurs affaires. Ils partiront tout les trois assis dans la charrette, le vieux Gawen s’étant métamorphosé en charretier de bonne augure, exploitant les capacités du cheval sans le poussé à la fatigue. Le chemin se fit d’une traite, ils passèrent prendre la Louise, et se dirigèrent vers Kérarguillis, pour arriver aux alentours des dix-neuf heures au village où la foule du patelin et des villages voisins s’affairaient déjà sur la place. Une estrade était montée, la fanfare locale exécutait quelques débuts de morceaux, joués et rejoués que leurs doigts ou leur souffle maîtrisait comme la langue de Bretagne. Les drapeaux de France et du pays de Breizh flottent sur le pignon de la mairie. Pierrick s’était habillé avec le pantalon à bretelles propre qu’il lui restait, une chemise appartenant à son père, sa mère l’avait obliger à l’inclure dans ses bagages, « Au cas où », comme elle lui avait dit.
Le voilà participant à un bal d’un village dont il ne connaissait même pas le nom il y a deux mois, sur une île qui lui inspirait tant de rêves mais qui était restée inconnue jusqu’à ce jour où ses pieds foulèrent le sol de ce petit bout de terre bien ancré sur la Manche.

Fielk se dirigea, dès qu’il fut descendu du chariot, vers le « Bistro des marins », dont les cuisines servaient à préparer le festin que les danseurs et autres villageois allaient savouré toute la soirée. Suite à la ripaille certains commentaient son appétit jamais rassasié, le fait qu’il n’ait pas dansé ni même fait autre chose que de manger et de fixer ses fesses sur la chaise qu’il avait choisi dès le début de soirée… Au moins un qui ne s’ennuyait pas de sa vie aux allures monotones.

Pierrick resta quelques heures à regarder les gens du village se mouvoir au rythme des chansons et des airs typiques du pays. Les vieux couples se regardaient et dans le fond de leurs yeux usés par le temps, on lisait cette lueur de satisfaction, plaisir de cette existence dénuée de sens, mais pour eux, les vieux aux mains ridées le temps n’avaient plus d’importance, depuis que celui-ci leur avait offert un compagnon de route… Qui valsait à leurs cotés, sur le sol où leurs enfants avaient grandis. Ces enfants dansottaient aussi avec leurs femmes, leurs filles, sur une mesure que la jeunesse rendait plus agréable à l’œil.
Le charpentier restait contre le mur de l’école de garçon, le long duquel des bancs furent installés la veille. Les longs sièges de bois n’accueillaient aucune dame à la recherche d’un moment de repos, aucun enfant consigné, ils sont vident. Il les regarde et s’immerge dans ses pensées, une assiette à la main, où une part de Far breton prend le vent venu de la marée. Il finit par s’asseoir sur celui qui se trouve juste à sa gauche, pose l’assiette à sa droite et entoure sa tête de ses mains, les coudes sur les genoux, rattrapé par la solitude de sa destinée.

Une femme au bout de la piste de danse tient un verre d’eau à la main. Pas très grande, une robe blanche, décorée de liserés de fleurs rouges et jaunes met en valeur ses formes généreuses de femme d’ici. Une poitrine rebondie, des hanches ni trop larges ni trop fines, de petites jambes terminées par deux pieds enveloppés de sandalettes de cuir blanc. Sa chevelure brune cache ce regard intensément profond qu’ont les femmes aux yeux verts, presque translucides, d’une transparence qui inspirent le charisme ou la peur.
Debout, bien droite elle observe l’arrivée de nouveaux gens, le départ d’autres, mue par cette envie de connaître un homme qui saura l’inviter, elle la femme aux yeux d’effroi. Elle se cache derrière ses cheveux, ne laissant que son œil gauche observer les allés-venus des fêtards. L’ennui la rattrape, elle décide de se diriger vers les bancs installés de l’autre coté de la piste. Elle contourne le petit bar où les hommes la regarde d’un œil mêlant respect et curiosité, pour finalement se trouver en face de cet homme inaperçu, qui ne la même pas vu arriver devant lui. Elle regarde sa nuque, où ces deux mains entrelacées cachent quelque peu ces rudes cheveux d’un brun quasiment noir. Ses mains sont marquées des traces du labeur, elles sont comme gonflées, mais dures, à l’apparence rêches, couvertes d’écorchures plus ou moins récentes. Elle sait qu’elle n’a pas un gamin face à ses yeux, ni un vieil homme, mais aimerait bien voir son visage. S'installant à la gauche de cet inconnu, elle fit légèrement trembler le banc de bois, ce qui permit à Pierrick de réaliser que quelqu’un venait de le rejoindre. Elle avait laisser des distances respectables, ni trop loin, pour qu’il ne puisse pas s’imaginer qu’il inspirait le mépris, ni trop prêt pour ne pas se montrer trop entreprenante. Il leva tout de même la tête, et vit ce qui lui laissa toute sa vie l’image de cette femme qu’il aima, à partir de ce jour.

Ils se parlèrent, lui noyé dans ses yeux, à l’écouter acquiescer sur chacune de ses questions ou chacun de ses mots. De son coté, cette femme aux yeux de chat, cessa de garder la tête un peu basse, et se mit aussi à causer de sa vie. Au départ ce fut des banalités, les noms, les prénoms, la famille, la fête… Et la vie, celle d’un charpentier venu sur l’île pour satisfaire son envie de découverte. Il lui raconta les nuits passées à s’expliquer la clarté de la lune et des étoiles sur la pointe Nord de Bréhat. Elle lui parla de ses travaux de coutures, et de son travail principal dans l’épicerie du père Yann, et de ses parents, de sa maison située à l’extrémité du village. Autant d’indices destinés à servir cette envie qu’elle avait de le revoir.

Et ils se sont revus, quelques semaines furent suffisantes pour que leurs sentiments se dévorent, une envie de partage assemblée par une confiance nouvelle, un pacte sans contrat qui les mena au mariage. C’était l’été de l’année 1947, un jour où la mer n’avait pas amené d’orages, un de ces jour où le vent donne une preuve de sa bonté en ne martelant pas les côtes de Bréhat. Car c’était sur l’île qu’ils décidèrent d’élever leur fille, à qui ils donnèrent le nom de Maëlle. Notre charpentier continua son œuvre, c’est ainsi qu’aujourd’hui, sur l’île, il paraîtrait que sept maisons sur dix ont connus les mains de cet homme. Il raconta des histoires à sa fille, jusqu’à sa huitième année. Il l’emmenait avec lui découvrir l’île, ses chantiers, elle su se servir d’un marteau avant de savoir compter. Parfois ils allait sur « le continent », voir la grand mère Leguénec, qui prenait sa petite fille sur ses genoux, avec le sourire de satisfaction d’une mère épuisée, mais si fière de son fils.

Ils vécurent dans le bonheur relatif qu’ils s’étaient créés, Pierrick travaillant du matin au soir exceptés les dimanches, sa femme attelée sur ses travaux de coutures ou son poste à la boutique. Durant cinquante années ils s’embrassèrent chaque soir, chaque matin, à l’heure où l’aube se dessine sur l’océan. Maëlle fit ses études à Brest et resta vivre en France, elle s’y maria avec un homme travaillant dans les assurances, Pierrick ne l’appréciait guère… Il aurait préféré un fier gaillard du pays, mais il était bien placé pour savoir que l’on ne peut choisir vers qui son cœur dirigera ses sentiments.

Les saisons s’écoulaient, le couple traversa les décennies. Dans les années Quatre-vingt dix, le tourisme connu un essor phénoménal dans la région. Les anglais débarquèrent, entre autres, avec leurs portes-monnaie bien fournis, et achetèrent tout ce qui pouvait être de la nature d’un logis ou ce qui aurait pu le devenir. C’est ainsi que les granges devinrent de petites maisonnettes fort confortables, les écuries de véritables palaces et que la population doublait chaque été. Le charpentier et sa femme se firent des amis venus de terres que même l’horizon ne laissait pas deviner. La saison touristique passée, l’île replongeait dans ces moments que Pierrick préféraient. Le silence merveilleux de la mer se fracassant contre les falaises de Bréhat, le froid et le vent se glissant dans les maisons. Le givre de décembre sur les fenêtres. Jamais de neige, pas un flocon, l’air salin donnait à l’atmosphère ambiante ce parfum d’hiver froid, mais jamais glacial. Jusqu'à cette fin d’automne 2003, où sa femme se rendit accompagnée de son homme à Brest, comme chaque année, pour rendre visite à sa fille et son gendre.

Elle profitait de ce voyage pour voir son médecin, chez qui elle avait dû se rendre une ou deux fois dans sa vie, pour avoir été réellement malade. Seulement cette fois-ci, elle souffrait de migraines si fortes qu’il lui arrivait de pas dormir de la nuit depuis quelques semaines. Suite à une entrevue, son docteur lui fit passer des examens plus approfondis à l’hôpital. Les résultats des prises de sang, et autres scanners, montrèrent l’apparition de ce qui affecte nombre de personnes âgées de notre époque, la maladie, dites, d’Alzheimer. Cette terrible affection fit qu’au bout de deux années elle se levait en ne reconnaissant pas cet homme assis à coté d’elle, elle n’arrivait pas à se rappeler qu’il avait été à cette place durant les cinquante-huit années déjà derrière elle. Elle ne savait pas qui était cette femme sur les photos de la salle à manger, ni les enfants à ses cotés, mais elle se souvenait chaque minute qu’elle était malade.

Dans ses bons jours, elle reconnaissait Pierrick, et l’embrassait, par peur qu’il s’envole et ne la laisse seule en compagnie de la folie qui la guettait. Il dû, à l’age de quatre-vingt quatre ans prendre soin de sa femme, et rester vigilent à chaque minute passée à ses cotés, car mis à part la mémoire, elle fatiguait beaucoup plus vite, s’essoufflait d’un rien de mouvement, et cette maladie cérébrale lui avait offert une maladresse dangereusement mortelle. La fatigue grignotait peu à peu cette force de la nature, cet homme aux mains calleuses, qui avait construit sa vie autour de ce petit bout de femme dont la flamme de vie s’éteignait peu à peu, sous ses yeux tristes et pleins d’amertume.

Il y eue une solution que sa fille osa un jour prononcer à demi-mot, comme un secret soufflé et étouffé par le vent, les établissements spécialisés. Ces endroits bien mieux tenus de nos jours que dans les années passées où les enfants entassent leurs parents, parfois sans remords ni considérations, dans des chambres où un fauteuil roulant et un lit monoplace remplissent quasiment tout l’espace. Ce sont ces propos que le cœur de Pierrick exulta lorsque l’idée apparut, sur un ton de colère que Maëlle n’avait jusqu’alors jamais aperçu. Ils n’en reparlèrent jamais plus.

Le vieux charpentier accompagna sa tendre femme qu’il avait chérie durant cinquante-huit années de sa vie, pour que la mort vint la prendre l’hiver 2005, dans une des deux maisonnette aux volets bleus, qui dominait la pointe Nord de Kérarguillis. Il regarda s’enfuir sur les mêmes flots que ceux de sa moitié, sa vie, qu’il passait désormais à regarder la mer, cette mer qui avait bercé les jours de bonheurs de la vie… D’un vieux charpentier.



A la mémoire de ce couple dont la télévision a illustré l’histoire, et dont le destin a prit un sacrifice trop lourd…


JUmo, 2006.

Vie d'aujourd'hui.


Vie d’aujourd’hui.


Une soirée de plus, passée seul… Avec ma conscience, ma guitare, un livre, ou la télévision, chacun à leur tour, le dernier me servant souvent de marchand de sable.

La musique ?… Comme tout le monde, j’ai mes préférences, mais elle est devenue indispensable dans toutes mes occupations. Quand je bricole, rêve, m’endort. Et puis il y a les instants où je suis seul avec ma petite guitare, je bidouille des petits morceaux pas bien difficiles, cherche des mélodies inédites, de mon cru ou issues d’un mix’ entre une rythmique devenue trop difficile et un solo infaisable… A mon niveau d’amateur. Il m’arrive de ne pas jouer pendant plusieurs jours, elle m’attend sur mon lit, comme toujours.

La musculation ?… Un hobby… ?

Oui c’est peut-être plus qu’une occupation, mais j’ai canalisé ma rage et ma puissance dans ce sport. Ce qui était préférable à d’autres moyens « Défouloir » beaucoup moins adapter, dans l’optique de reprendre le dessus sur la mélancolie et la tristesse. Cela dit, à la vue de certaines personnes, les termes employés plus haut, de rage, et surtout puissance, sont extrêmement relatifs. Des Hommes pratiquant depuis, certes, plusieurs années ce sport, se montrent capable d’une énergie phénoménale. Je reste humble…
Ce passe-temps enferme pas mal de catégories de gens, se distinguant principalement les uns des autres par leurs aptitudes, ou bien par la motivation, la psychologie ou le simple courage. Deux types de « sportifs » se dégagent tout de même. Les sérieux et rigoureux, ceux qui ne trichent pas, à vouloir jouer contre le temps, par l’utilisation de produits annexes… Et il y a les impatients, ce sont les hommes qui se concentrent plus sur le moyen le plus rapide de prendre de la masse musculaire. Alors Ils finissent toujours par se blesser et finalement perdre un temps qu’ils auraient pu utiliser à être plus strictes avec eux mêmes. L’alimentation est la clef de tout.

La lecture ?… L’écriture… ?

Deux sauveurs à part entière, j’apprécie plus écrire que lire, mais il est plus difficile de rédiger.

J’aime caressé les pages des livres que je lis, sentir le papier sous mes doigts, ondulé et vieilli par le temps. Les vieux livres ont une âme.
Ils ont été lus et relus par d’autres personnes avant vous ou moi.
Acheter en brocante ou dans des boutiques, librairies et dérivées, même si l’histoire ou le contenu a un rendu médiocre, et bien il est là entre vos mains et attend votre jugement. C’est seulement arriver à la dernière ligne que vous déciderez de le garder ou de l’abandonner.
Votre esprit conservera dans un recoin, ces souvenirs des heures passées à décrypter et analyser les mots, expressions qui découlaient des pages d’un vieux livre.
Et là, ce qui restera de tout ces moments, la seule chose qui me revient, c’est que ce sont les livres et lectures qui m’ont aidé. La connaissance, l’évasion, se sentir un peu libre de toutes sensations humaines. Ces instants m’ont permis de me demander qui j’étais et pourquoi je suis ce que je suis.Mes principes et idéaux me pèsent bien plus qu’il ne faudrait. Il n’est pas toujours si simple de les appliquer, les respecter.
Les Hommes sont ce qu’ils sont, je ne pense pas être meilleur qu’un autre, mais je sais qui je suis aujourd’hui, je ne joue pas avec la vie ou les sentiments.
L’intérêt que je porte à la lecture ou l’écriture me rappelle que mon passé n’est pas si ancien et la sagesse deviendra mienne lorsque j’accepterai le monde dans lequel je vis comme il est.
Un homme ou une femme qui pense pouvoir changer celui-ci tout seul passera son existence poursuivi par la déception.
Je songe parfois à écrire autre chose que mes pensées et ma philosophie, comme des nouvelles, empreintes de réelles histoires, captivantes et non pas à l’aspect pitoyable. Je ne suis pas un grand lecteur, j’aime lire, voilà tout.
Une espèce de pouvoir m’envahit quand je tourne les pages, quand je ferme mon livre en cours et que j’en regarde la tranche pour y voir le marque-page dépassé et me dire que je n’ai pas perdu mon temps.
Quelqu’un qui écrit, mérite d’être lu, dans la mesure de l’intérêt que vos goûts portent au sujet développé bien sûr.
Oui les livres, les feuilles, mes crayons et gommes m’ont aidé dans la découverte de qui je suis, ou du moins de ce que je veux devenir… Un homme que mon ego respectera et qui ne plaira jamais totalement à ne serait-ce qu’une personne, puisque la tolérance exprime aujourd’hui être du coté de ceux qui se plaignent au lieu de celui qui se tait et change.


JUmo.2006

Luna.




Luna.


Le vent d’Ouest souffle sur la côte bretonne, repoussant la plage de sable vers les terres, coiffant les hautes herbes des dunes de son peigne invisible. Une petite maisonnette abritant une famille de pêcheurs somnole encore en ce milieu de nuit, toutes lumières éteintes, bercée par la mélodie doucement amplifiée de quelques ardoises mal fixées. Elle protège aussi le sommeil de deux parents et de leur petite fille, dormant, si étonnant soit-il, plutôt profondément en cette nuit liant un samedi à un dimanche. Les amants entrelacés, sont unis dans leurs songes par la tranquille sérénité qu’ils partagent, allongés qu’ils sont, leurs corps embrassés sous le halo de la lueur des astres.

La petite, enveloppée sous sa couette à l’effigie de la mer, rêve de princesses, de dragons et de ces dangers que papa lui lit quand il rentre chaque vendredi après une longue semaine d’absence. Derrière la porte de sa chambre, son lit est recouvert de la bienveillance lunaire, ce rayon qui, à l’occasion d’un ciel dégagé, se révèle source de lumière à l’étrangeté grise surprenante. Cerise, car c’est son nom, s’emmitoufle aussi fortement que possible dans la chaleur de son propre corps, en une position fœtale des plus attendrissante. Elle resta immergée dans cette demi conscience jusqu’aux frémissements de l’aube, encore très obscure, réveillée soudain par une envie des plus désagréable, celle d’aller au petit coin.

Elle s’assit sur le bord du sommier de son lit, les yeux à demi ouverts, enfila ses belles charentaises jaunes et ouvrit la porte de sa chambre, la couette apposée sur le dos. Nul besoin de presser l’interrupteur du couloir, la lumière de la nuit enfermée jusque là dans sa pièce se libéra tout d’un coup, prenant subitement le maximum d’espace disponible. Ainsi guidée par la bonté de la lune, Cerise tâtonna encore à moitié avant que sa main ne rencontre la poignée de la porte de la salle de bain. Au seuil, elle laisse tomber sa cape de duvet d’oies et referma derrière elle.

Le bruit de l’eau du robinet chanta dans les canalisations, petit résonnement sourd, presque inaudible en journée, mais que le silence de la nuit transformerait presque en une nuisance brutale. Elle ressortit, se prit quelque peu les petons dans la couette restée sur le passage, et tout en la ramassant, elle traîna ces même petits pieds jusqu’à son lit, se recouchant confortablement dans le reste de la chaude empreinte que son corps avait laissé sur le matelas, comme un nid où il fallait vite revenir. Bien vite ses paupières d’enfants se refermèrent à l’invitation d’un ultime passage du marchand de sable.

Les couleurs de l’aube étaient quasiment unies dans le ciel de ce début de jour, et Papa ouvrit un oeil, alerté par la chanson des vieux tuyaux de cuivres qui passaient dans la chambre conjugale. Il embrassa sa femme qui conserverait le sommeil encore un peu de temps. Lui, se leva, comme accompagné par le coq qui chantait le crépuscule de la nuit et se pencha encore une fois pour embrasser langoureusement son épouse, avant de descendre vers la cuisine. Derrière la porte qu’il ferma sans bruit, elle s’installa à la place de son mari en une roulade. Le nez plongé dans son coussin, l’odeur de cet homme, que son cœur avait élu dix années auparavant, nourrissait cette allégresse matinale de femme heureuse, satisfaite de ce cadeau du destin.

Papa attendit une heure, préparant le petit déjeuner des deux femmes de sa vie et il monta les marches de l’escalier, ouvrit délicatement la porte. Il s’arrêta net, le plateau en mains, en contemplant d’un sourire évocateur, sa petite Cerise installée sur le ventre de sa mère, les yeux clos, caressée par l’amour de Maman.


JUmo.

L'hypocrite est le mal.


L’hypocrite est le mal.


Nouveau jour, nouvelle occasion de contempler le soleil, roi de l’aube toujours renaissante. Paris s’éveille, grouillante de petits hommes verts, non pas extra-terrestres, mais de simples Hommes chargés de conserver ou de renouveler la salubrité et l’élégance de la ville. 7h30, la chaleur montre son voile, comme un bénéfice attendu des oublieux d’écharpes, en cet automne dans lequel se succèdent vagues de froid et périodes de douceur.

Depuis la terrasse couverte d’un café situé à l’angle de la rue de Reuilly et du boulevard Diderot, un jeune homme contemple la fourmilière de l’heure de pointe, agitée, immergeant de la terre au rythme de l’arrivée des rames de métro. Il boit un café, le premier d’une longue série, à défaut desquels le sommeil s’immiscerait bien vite dans ses pensées. Assis, il attend que la tasse se refroidisse du liquide trop chaud dont elle est remplit. Dans la matinée il doit rejoindre un ami habitant dans le 7e arrondissement, mais pour l’instant l’heure est trop matinale pour déranger une fin de nuit peut-être difficile ou mouvementée. Le rendez-vous a été fixé en milieu de matinée, aux alentours de 9h. Le planning de la journée n’a rien d’excentrique, une après-midi entre potes à prendre des photos et discuter de leurs vies ou de tout sujet passant par la tête. Quoique, son ami ne soit pas bien bavard, tout immergé dans le bonheur qu’il est, il écoute bien plus qu’il ne parle.

Il se décide à régler la note des deux cafés qu’il vient d’avaler, à sortir du bar et à descendre les marches le menant dans les souterrains du métro, toujours perdu dans ses pensées, bercé par une douce musique émanant de son baladeur. Santana, ambassadeur aux origines mexicaine de mélodies pleines d’entrain et qui lui donnerait presque le sourire niais d’un enfant.

Une petite demi-heure suffit à joindre les deux étapes du trajet. Il n’aime pas tellement la foule, pourtant omniprésente à Paris, se sentant comme étouffé par le cynisme et l’impolitesse de gens, qui, prit individuellement se révèlent souvent bien plus sociable. Il se sentirait presque seul à vouloir être lui même, s’efforçant de rester souriant, poli et courtois, qu’importe les situations. Il pressent que la banalité de la journée va l’épuiser, accompagnée des bousculades et de l’aigreur des Hommes, toujours grandissante au fil du temps.

Installé dans le premier métro, debout, se tenant à une barre verticale traversant toute la hauteur du wagon, il chercha du regard deux petits écriteaux. Il avait remarqué l’apparition de ces petites pancartes, à chaque bout de voiture, sur lesquelles la RATP avait eu l’idée majestueuse de reprendre des vers de poèmes ou de courts extraits de nouvelles ; écrites par de grands noms de la littérature ou des auteurs peu connus, voir inconnus. Qu’importe, il passait un temps relativement concis, mais emplit d’une sympathie attachante à lire ces lignes éphémères, auxquelles peu de gens devait accorder de l’importance.

La station d’arrivée approchait et il descendit finalement au terme des trois minutes le séparant du dernier arrêt. Il monta les marches, et de nouveau, il se retrouva à l’air libre. Enfin libre… Disons plutôt que l’air lui sembla échanger la poussière des galeries souterraines pour la pollution extérieure, ainsi que le ronronnement du passage des trains pour celui de la circulation. Mais l’atmosphère reprit tout de même cette fraîche caresse que le mois de novembre offrit à ses joues, rosies pour l’occasion. Le bol d’air avalé goulûment, il traversa deux passages piétons, tourna à l’angle d’une rue et commença à filer tout droit, guidé par le souvenir du chemin à suivre.

Devant lui, à une trentaine de mètres, était un banc, sur lequel un homme semblait avachi, la tête courbée vers le sol. Tout en s’approchant pas à pas, le jeune homme amorça ce qui allait devenir un « bonjour ». Le casque sur les oreilles, il vit néanmoins l’homme relevé la tête et amorcé une réponse. Ne comptant pas s’attarder, il continua deux ou trois pas avant de constater que celui-ci l’interpellait. Il décolla une oreillette, puis coupa finalement le son de la musique, tout en passant son casque autour de son coup. L’homme, tout en ayant relevé la tête, gardait cette position courbée vers l’avant et affichait un sourire jauni par l’âge et la consommation de tabac.

L’homme engagea la discussion en demandant au jeune homme si il avait un peu de temps à partager, à lui consacrer. Ce dernier, surprit par tant de simple gentillesse et étant comme à son habitude en avance pour son rendez-vous, décida de rester écouter ce que l’amabilité d’un vieil homme pourrait bien avoir à lui conter. Il se joignit à lui, en prenant place à ses côtés sur le banc et tendit l’oreille, prêtant grande attention au récit qui avait déjà commencé.

Le vieil homme semblait emplit de tristesse et d’amertume. Il s’intéressa tout d’abord au jeune homme au travers de questions dont la banalité des réponses engageait à passer sur les détails. Il continua en donnant son nom, Maurice Tiret, ancien soldat de l’armée française, dont l’âge était trahit par les cheveux grisonnant et des yeux pleins d’une lueur fatiguée par le temps. Et il raconta des brides de sa vie, dans un résumé apparemment affûté par les années d’isolement moral, mais transpirant une sincérité à l’odeur de chagrin. A 68 ans le passé de cet homme était marqué de la mort d’un fils, d’un passage en prison et d’une enfance violente dirigée par un père aux tendances alcoolisées, le tout bien sûr couvert d’une sauce solitude.

Il parla peut-être une dizaine de minute. Durant ce moment, le jeune homme écouta les différentes péripéties, recensées dans le silence de la rue par l’être qui se trouvait à coté de lui, le regard perdu dans ses douloureux souvenirs. Son esprit se figea sur cette impression de faire ce que les Hommes devraient faire plus souvent… Ecouter.

A 20 ans, il se trouva face à l’un de ces moment qui marque une vie, par la simplicité d’un événement aux allures bénignes, mais tellement inhabituel. Il en avait entendu des plaintes, les siennes, celles des autres. Toutes ces minuscules secondes passées à saisir les paroles de cet inconnu avaient effacé la gravité qu’il donnait à ses propres soucis, prenant soudainement la dimension d’une feuille tombée de l’arbre des ennuis.

Il l’écouta encore cinq petites minutes et au moment de se quitter, l’homme formula une demande qui tombait aussi inattendue que leur rencontre.

« Tu n’aurais pas 1€ pour la route mon ami ? »

C’est là, à cet instant, que la réalité du monde enlève son masque et affiche l’horreur de ses vérités. Un être démuni, mais souhaitant conserver un certain honneur, afin de sauver quelque peu la face, en arrive à concéder la seule chose qu’un Homme ne devrait jamais vendre, son Histoire.
Touché par tant d’humilité et ce si grand sacrifice, il ne fit pas la sourde oreille et donna ce que la jeunesse lui autorisa à avoir en poche, de bon cœur.

Comme un adieu solennel, l’ancien resta assis en remerciant par trop de mots ce moment partagé, opposition de générations qui offrit une plénitude et une agréable distorsion du temps ; l’un envahit par la platitude amère de son quotidien et l’autre profondément affecté par la misère des Hommes à feinter l’existence d’une telle détresse.


JUmo.

lundi 25 décembre 2006

L'auto bleue.

L’auto bleue.


Il n’avait qu’un seul indice, cette voiture inconnue stationnée depuis deux jours au coin de la halle. Elle resta là toute la semaine, avant d’avoir subitement disparue le samedi matin lorsqu’elle regarda par la fenêtre à son réveil. De cette seule piste, son esprit avait formé cette bulle de brouillard issue des pensées incomprises, sur laquelle elle se retourna vers son fauteuil et alla s’y écrouler lourdement en passant un genou au-dessus d’une oreille.

Sur la table fumait un mazagran de thé dont l’odeur de fruit rouges embaumait la pièce, en cette heure matinale de début de week-end. Vautrée dans ses pensées aussi bien que dans son vieux fauteuil, elle maintint ses mains enlacées autour du breuvage, lapant de petites gorgées sucrées en évitant de se brûler.

Cette voiture bleutée, mal rangée sur le bas coté et restée immobile durant les cinq derniers jours, envahissait son univers. A qui pouvait-elle appartenir ? Elle avait passé autant de temps que possible derrière les parois vitrées de la fenêtre de sa cuisine, à attendre que le propriétaire se manifeste. Que ce soit le matin ou en fin d’après-midi, aucuns signes de vie, même mercredi soir en étant sortie en retard de ses classements de bibliothécaire, elle avait veillé aussi longtemps que la fatigue lui avait autorisé. Pourtant, elle passa des heures à examiner les alentours du panorama, tantôt assise sur sa machine à laver, tantôt debout, fumant une cigarette, fenêtre entrouverte mais lumière toujours éteinte, à l’abris de tout soupçon d’espionnage.

Elle jeta un coup d’œil à l’horaire de l’instant, alertée par de soudains rayons de soleil ayant envahis la petite salle de séjour de son appartement, et décida de laver son corps de la fatigante nuit passée à tourner et se retourner dans son lit. Ses songes furent toute la nuit entrecoupés par les images de l’incompréhension et de l’inattendue apparition de cette automobile. Elle avala en quelques traits le thé encore chaud, se releva et se dirigea vers sa salle de bain avant de s’enfermer à l’intérieur.

La voilà devant la glace, éclairée par la vieille lampe du hublot suspendu au plafond. Elle se rapproche de son image en se tirant les traits, grimaçante, face à son reflet que son esprit analyse comme repoussant. Elle considéra ainsi ses défauts, comme pour vérifier si ils n’avaient pas disparus durant la nuit, ou peut-être encore pour rester immergée dans cette état semi-dépressif où ses sentiments voisinent avec la solitude. Elle se brossa les dents, se mit à nue et profita de la caresse de l’eau chaude d’une douche matinale. Sous le jet agréablement puissant, un frisson né de la différence de température se leva du bas de son dos, avant de disparaître rapidement. Elle s’amusa à pencher sa tête en arrière, à la caler sous un certain angle qui permit à l’eau de ruisseler le long de son visage, de ses tempes et de ses oreilles ; produisant ainsi l’écho apaisant de la mélodie de l’eau, rebondissant sur les cloisons imaginaires de son inconscient. Ainsi relaxée, elle tira le rideau de douche, s’enroula dans une serviette de bain et s’assit sur le bord de la baignoire. Préoccupée, elle regarda ses cheveux séchés au goutte à goutte sur le sol, dans le petit son aigu et pourtant étouffé de leur chute.

La porte se rouvrit, la laissant se mouvoir jusqu’à sa chambre, où elle laissa tomber la serviette devant les battants coulissants de son armoire à vêtements. D’un regard rapide, elle choisit un jean, et un vieux tee-shirt de son groupe de musique favori, usé depuis le lycée. Après tout, un samedi, à 26 ans, elle avait le droit d’afficher ses goûts et son désir de relaxation. Toute habillée, elle repoussa la porte vitrée de l’armoire et observa les formes de son corps, enveloppées dans ce maillot et ce pantalon si confortable. Son image introduisit de vieux souvenirs, comme illustrés par son apparence. Elle songea à ses amis, si loin aujourd’hui, à ses parents qui vivent à l’autre bout de la France, attendant Noël ou les vacances pour voir leur fille. Tant de petites souffrances qui, une fois accumulées, la conforterait presque dans la perplexité de ses idées noires.

Le téléphone sonne, elle sort immédiatement de son rêve éveillé et retourne dans son petit salon, se rassoit dans son fauteuil et attrape le combiné à bout de bras, tout en pressentant qui se trouve de l’autre coté. Sa mère l’appelle, comme tout les samedis matins, et papote avec son enfant de la semaine qu’elles viennent de passer toutes les deux. Etant des parents retraités, les évènements de leur vie que sa mère lui raconte se ressemblent sans cesses. Et parfois elle a même l’impression que sa mère radote de vieilles histoires, alors que ce n’est que le hasard qui mène les pas de ses parents vers des sentiers identiques, illustrés par les mêmes mots, encore et toujours. Souvent, elle écoute pendant presque une heure cette voix si familière lui confier les attentes d’une mère, similaires à celles de la semaine précédente, parfois juxtaposées à de nouvelles lubies natives de la lecture d’un article dans un magazine ou à la diffusion d’un reportage télévisé.
Mais elle ne se confie jamais, elle. Comme si son malheur ne pouvait être vaincu seulement par sa propre personne et que l’aide extérieure ne serait que trop éphémère ou inutile.

Enfin, elle raccroche en soufflant, comme soulager que l’épreuve soit derrière et non plus devant elle. Entre deux nuages grisâtre de décembre, le soleil vient l’éblouir et l’incite à se lever en se dirigeant vers la cuisine pour préparer ce qui sera le repas de midi. Avant de fouiller son réfrigérateur et ses placards, elle pausa les mains sur le radiateur accroché sous la fenêtre, glissa ses doigts entre les chauds compartiments en fermant les yeux, comme pour rester concentrer sur ce moment vide de tout autre sentiment que celui de l’agréable mouvement du flux de chaleur canalisé dans ses doigts. En se retournant avant d’ouvrir les paupières, elle entrebâilla la porte du frigo et analysa ce qui pourrait attiser sa faim. Elle attrapa un reste de petits pois de la veille, un paquet de jambons en tranches, et se prépara une assiette et des couverts.

Le silence devint pesant. En se dirigeant à petits pas langoureux vers son fauteuil elle choisit un album dont les morceaux envahirent bientôt le vide de l’appartement. Se rasseyant, elle resta là le temps d’une chanson, à regarder la monotonie du dehors, atténuée par la cime du platane dont les branches se balançaient de droite et de gauche, dansant au rythme lent de la mélodie émanant des enceintes. La sonnerie du micro-ondes retentie, ultime appel au déjeuner.

Elle avala son repas calmement, en songeant à ce dont elle pourrait remplir cet après midi n’ayant même pas débuter. Lire ? Oui peut-être bien. Rester à observer le portail du voisin ? Non, pas aujourd’hui, pas encore. Elle a gâché énormément de temps, trop cette semaine, attisée par sa curiosité et voulant apprivoiser l’inconnu. Finalement, elle lira. Mais quoi ? Un livre de ceux qui réclament depuis si longtemps son attention, ou bien un élu parmi les nouveautés, dont la récente parution apparaît telle une attirance incontrôlable. Le choix ne semble pas si difficile, mais pourtant, la passion des livres possède cette fascination que les lecteurs éprouvent envers les mots. Des mots identiques, mais qu’une personne, l’auteur, a su assembler de telle façon que le lecteur ressent de la tristesse ou de la joie entre chaque ligne. Elle fit comme l’habitude de l’indécision l’avait habitué à procéder depuis l’enfance. Elle mit la paume de sa main gauche sur ses yeux et sur l’étagère réservée aux livres patients, elle laissa glisser son index droit sur la tranche des livres, de plus en plus vite, et arrêta son doigt sur l’un d’entre eux.
Elle le saisit, l’ouvrit, et choisit un nouveau disque qui cette fois alimenterait le confort de la lecture à venir, fil conducteur de la tranquillité nécessaire à une bonne cohabitation avec le livre.

Ses ouvrages, mis à part les nouveautés que la bibliothèque lui laisse emprunter dès leur arrivée, elle les sélectionne sans grandes influences, parfois d’un simple regard. Il lui arrive même de se laisser abuser par le hasard, en achetant un oeuvre tombée d’une étagère, enchantée par ce qu’elle considère comme une allusion à la providence. Elle le feuillète et transforme alors un livre abandonné en une nouvelle possession.
Avec le temps, le plaisir de lire s’est mué en amour, la transformant en une dévoreuse acharnée de pages jaunies par l’âge, que le temps a marqué de son odeur. Ou à l’inverse, de celles lissent et blanches des œuvres fraîchement imprimées.

Les heures de l’après-midi se succèdent, l’ombre de la plante verte du salon couvre maintenant le tapis de la table basse. La pièce passe du sombre au clair, lumière alternée par les différentes nappes de nuages passant entre les rayons du soleil, sur le chemin de la fenêtre. Elle alluma l’halogène, le regard fatigué par les teintes de mots devenues parfois noirs sur fond gris. Complètement engloutie par l’histoire, elle oublie le vide de son environnement, accentué par le silence de sa lecture. Les plages du CD sont achevées depuis longtemps et les seuls sons qui résonnent sont ceux de la fenêtre de la chambre mal close et du mouvement répétitif de sa main le long des pages du livre. Le léger courant d’air l’oblige à faire une pause dans sa séance, afin de fermer convenablement la fenêtre, origine du dérangement, ironiquement démesuré par un énorme soupir entre ses lèvres.

Elle profita de la déconnexion pour aller se préparer le deuxième mazagran de thé de la journée, qui fut encore trop chaud. Elle revint apposer la boisson sur la table, devant son fauteuil, à coté du livre à la couverture rouge bordée de liserés d’or, quand elle s’aperçu avoir oublié petite cuillère et sucre. Elle retourna d’un pas pressé, accéléré par l’impatience des retrouvailles avec l’ivresse et le confort de l’histoire, mais s’attarda à un bref coup d’œil à travers le carreau de la cuisine, et malgré l’obscure après-midi, son regard se figea sur l’image que son intellect avait conservée toute la semaine.
La voiture était là, de nouveau stationnée maladroitement, et la façade de la maison du voisin se trouvait illuminé de l’éclairage intérieur. Instantanément, l’envie de lire s’estompa, elle garda la cuillère et le pot de sucre en mains, comme de nouveau hypnotisée par la scène.
Le thé refroidit, entouré par le bourdonnement de la chaîne Hi-Fi sous-tension, de la serviette de bain restée sur le plancher de la chambre et de l’assiette vide du repas de midi, entreposée aux cotés d’un livre qui n’a servi que de tampon au passage du temps.

Immobile, elle regarda la nuit tombée, en ayant seulement coupé la lumière du séjour et déposé ce qu’elle avait entres ses doigts sur l’évier en inox. Le soir est maintenant installé, et c’est toujours l’esprit connecté à ce qui peut se passer chez le voisin qu’elle passa outre la résolution prise en début de journée, sur les inutiles heures gaspillées à surveiller le fantôme d’un homme qu’elle n’a pas aperçu depuis des semaines. Cette curiosité maladive développée par son cerveau l’inquiète, ce n’est pas tellement le défaut en lui même qui la perturbe, mais plutôt qu’il soit concentré sur cette voiture, l’identité de son propriétaire et sa subite apparition il y a presque deux mois maintenant. Elle est fixée là, le nez si proche de la vitre qu’une petite auréole de buée se forme sous le souffle de sa respiration. Elle l’essuie du revers de la main à intervalles réguliers, afin de toujours pouvoir contempler la nature figée que la nuit offre à ses yeux, sous la faible influence d’un réverbère.

Elle décida de s’asseoir à une heure avancée de la soirée, sur un tabouret saisi en allongeant le bras, sans décrocher le regard du dehors. Elle n’avait ni mangé, ni bu, elle n’avait ni faim, ni soif. Tout l’environnement était plongé dans un noir presque complet, univers d’incertitude et de réflexion extrême. Quatre pièces de la maison qu’elle observait s’étaient alternativement allumées et éteintes, et maintenant, une seule semblait résister aux tentations de l’heure tardive, à l’étage supérieur. Sûrement sa chambre pensa-t-elle, tout comme elle avait analysé le véhicule, immatriculé en Seine-et-Marne, en déduisant que l’étranger en était vraiment un.

La lueur s’éteignit finalement, et comme un déclic, signal de la fin de l’hypnose, elle sortit de son obsession. Dans le silence, ses pas résonnèrent quand elle se retourna pour allumer la lampe de la cuisine, mais un claquement provenant du dehors la fit de nouveau effectuer un demi-tour. Sa curiosité attisée, elle vit enfin l’objet de toute sa patience apparaître faiblement, tel un reflet.

La porte d’entrée s’était ouverte, lui se tenait sur le seuil, en haut de trois marches de grès, surplombant la nuit de sa présence. Et elle, derrière sa fenêtre, esquissa un sourire, puis, prise de petites convulsions nerveuses, elle le dévisagea de loin, son voisin. Elle l’observa de ces yeux brillant de sentiments refoulés, presque fanatiques, alors qu’ils ne sont que l’image d’une timidité maladive, voire dépressive.
Il avait allumé le spot au dessus de lui, éclairant le sentier menant au portail de fer forgé. Avec sa démarche de bonhomme bedonnant, il avança dans les graviers et ouvrit la grille. Puis, arrivé à la voiture, il en ouvra le coffre. Il retourna de nouveau dans la maison et en ressortit avec une valise qui devait être rouge ou de teinte similaire, ainsi qu’un vanity-case et un autre sac apparemment bien rempli. Difficilement, il entassa tout les bagages au fond de la voiture du mieux qu’il pu. Une fois fait, il eut l’air d’attendre, mais quoi ? Ou qui plutôt ? Elle le regarda, lui qui ne se doutait peut-être même pas qu’il cohabitait avec une voisine si passionnée, ou ne serait-ce qu’une voisine d’ailleurs.
Et enfin, quelqu’un sortit de la maison, en refermant la porte, une personne assez svelte, aux cheveux courts, habillée simplement d’un pull-over et d’un pantalon de toile. Une écharpe pendait à son coup, un homme, il lui sembla que ce fût un homme. La tension redescendit quelque peu. Elle suivit des yeux la silhouette qui avançait dans le chemin illuminé par la puissante lumière. L’étranger referma son coffre et s’adossa contre la carrosserie de la voiture.
Les deux corps s’enlacèrent, et elle, elle resta debout, lèvres entrouvertes, paupières écarquillées. D’un sursaut, elle débarrassa le carreau de son voile de buée, l’image devenue trop floue persistait, alors elle ouvrit d’un geste la fenêtre à double battant et comme si elle possédait la vue d’un rapace, elle détailla tout en une seconde. Son voisin était l’homme qu’elle connaissait bien, mais l’autre homme était une femme, plutôt grande, aux cheveux courts, habillée d’un style mixte et neutre. Elle les regarda dans la nébulosité de la pénombre qui envahit ses pensées, en ouvrant la fenêtre elle avait permis à la vérité de pénétrer dans son esprit, mais aussi aux doutes et aux déceptions d’emprunter le même sentier invisible.

Ils s’embrassèrent.

Elle détourna le regard en refermant sa fenêtre sur le froid de la nuit, et dans l’obscurité, elle alla droit s’affaler dans son fauteuil. Elle observa la pièce et les objets autour d’elle, à peine visibles, dont les contours se dessinaient finement, presque imperceptibles. Elle ralluma faiblement son halogène en silence. L’assiette n’avait pas bouger, il y avait aussi le mazagran vide, le plein, puis le livre dont le marque-page dépassait de la tranche inférieure, et enfin, elle pleura. Des sanglots qu’elle ressentie instantanément comme inutiles, mais que les nerfs ne pouvaient plus contrôler, auto-guidés par le trop plein de désillusions de sa vie. Elle se sentie noyée dans son existence, qu’elle n’avait pas la sensation de vivre, et triste elle s’allongea, triste elle se lèvera, encore bien des jours, encore bien des nuits.


JUmo.